Arhios fend les flots avec une impressionnante maîtrise sur Miscible, premier album réussi pour le trio rennais qui met le cap vers l’excellence.
Avec un premier EP resté relativement discret mais prometteur, Arhios manifestait déjà un certain savoir-faire, et s’annonçait surtout comme gardien d’ambitions novatrices et rafraîchissantes au cœur de la sphère parfois redondante du rock instrumental. Miscible incarne l’album à la hauteur des orientations plurielles du trio. Véritable carrefour aux chemins parfois onduleux mais aux horizons toujours radieux, le trio ne s’impose ici aucune barrière, et laisse libre cours à son imagination, mais aussi celle de son auditeur, pour mener une traversée riche en harmonies salvatrices.
L’étiquette « post-rock » convient autant à Arhios qu’à un groupe comme And So I Watch You From Afar : elle n’est pas absurde, mais les cantonne à une certaine idée de l’usage de procédés qu’ils choisissent délibérément de passer au crible pour en faire les vecteurs d’un rock altrumental, comme ils aiment à l’appeler. C’est pour une véritable odyssée que l’on embarque aux côtés des trois musiciens, où chacun des huit morceaux de Miscible en est une étape. Comme Ulysse en chemin vers Ithaque, chaque arrêt est une aventure singulière et formatrice, au seul détail près qu’ici, il n’y a d’autre Ithaque qu’intérieure pour qui se plonge dans ces quarante-cinq minutes instrumentales. La destination par ailleurs, n’a pas tant d’importance quand ce sont tous les détours empruntés qui donnent sens au voyage.
La trame indisciplinée de Bachibouzook, premier titre haut-en-couleurs, annonce déjà l’ambition démiurgique de l’album. Arhios ne se gêne pas pour déjà nous faire côtoyer des sommets grisants, entre deux retombées tantôt nostalgiques, tantôt groovy, le tout en un morceau, et le résultat sonne terriblement bien. Il témoigne d’une singulière densité sonore, qui pour autant n’ouvre pas la porte à un gouffre dans lequel on sauterait à corps perdu pour échapper au poids de son existence, comme c’est le cas pour un certain nombre d’albums de rock instrumental. Bien au contraire, il invite, dans une dynamique ascensionnelle, à explorer tous les possibles, et c’est guidé par ce phare que l’on pousse notre embarcation sur Tamise qui, loin de l’indolence du fleuve anglais, voit se déployer à cœur ouvert synthés, guitares et percussions en une joyeuse célébration, peut-être de la vie, ou bien de tous les possibles de la création, libre à chacun d’y trouver son compte.
L’importance des synthés, sur ce titre mais sur tout l’album de manière générale, donne l’occasion de souligner la marque apposée sur Miscible par Amaury Sauvé, qu’on ne présente plus (Birds in Row, It It Anita…). Son travail rend éclatantes toutes les couleurs de l’album, et force est de constater que le talent et la sensibilité artistique de l’ingénieur du son se marient à merveille avec les ambitions de Thomas Rousset (guitare), Arthur Allard (basse) et Raphaël Trehin (batterie).
Le trio navigue ensuite sur Bara et Monoï entre tempête et accalmie, sur une mer qu’il a décidément fait sienne, n’hésitant pas à affronter des riffs dantesques pour mieux retomber sur la quiétude de vagues ambiantes. Alors qu’on arpente sur Bangor et Dune des pentes plus régulières, Reef marque un point de non-retour où la symbiose des trois musiciens prend une hauteur vertigineuse. Sommet en vue, c’est Daria qui accompagne les dernières minutes de l’épopée en une escalade de synthés prodigieuse, qui n’a de cesse de propulser chaque instrument dans ses retranchements. Clairement épique, ce dernier morceau consacre la puissance de l’ensemble, et invite en un panorama sonore à contempler le chemin parcouru, le cœur apaisé, les oreilles comblées.
Ne s’interdisant aucune incartade au cours de la traversée, Arhios relève le défi du premier album avec brio. Fort d’une production impeccable, Miscible offre un voyage dont on ne ressort pas indemne, non pas l’âme drainée, mais fortifiée, et on prend plaisir à réitérer l’expérience afin d’explorer chacune des voies qu’il nous propose.
Marion des Forts