Dans le granuleux des pixels et la matérialité troublée des projecteurs, on se laisse guider, embarquer au gré des doutes et désirs créatifs du beau bizarre Bevilacqua. Un documentaire de Dominique Gonzalez-Foerster et Ange Leccia.
Il y a la voix d’abord, il y a la voix bien sûr, douce, charnelle et languissante, qui passe sur nous telle une caresse, tel un frisson à l’échine. D’emblée elle égrène, dans un murmure, des titres de films, accompagnée de la musique du Mépris, et qui viennent rappeler le rapport très fort qu’il avait au cinéma, lui qui aimait, entre autres, Mort à Venise, Boulevard du crépuscule, Blue velvet, Kubrick et Lynch (il suffit d’écouter la magnifique chanson Magda, sa plus belle sans doute, pour s’en rendre compte tant elle résonne comme un hommage à Angelo Badalamenti et à Lynch avec ses nappes de synthé mélancoliques, griffées à la fin d’un long et sublime riff de guitare électrique).
Et puis après, il apparaît sur scène, de dos, dans un halo blanc, comme un spectre lumineux, comme par magie, comme s’il revenait avec nous quelques instants, le temps d’une dernière séance. On connaît la chanson, Les paradis perdus, il est pareil à celle-là : charisme de fou dans sa veste de soie rose ou de cuir noir, un peu dandy, un peu vieilli. Oiseau de nuit beaucoup, tour à tour exigeant, inquiet, à l’écoute, facétieux, presque enfantin. L’idée n’était pas de faire une hagiographie, des interviews insipides face caméra, yeux dans les yeux pour ne rien dire, de percer le mystère Christophe ou de retracer son œuvre tout entière, mais plutôt de se laisser guider, embarquer au gré de ses doutes et désirs créatifs, côté scène, côté coulisses, du côté de chez lui à Montparnasse.
Dans le granuleux des pixels, dans la matérialité troublée des projecteurs, Dominique Gonzalez-Foerster et Ange Leccia captent sa présence par fragments, par images qu’on dirait volées, qui se font écho d’un concert ici à un concert là. Et si la captation vidéo et sonore n’est pas toujours d’une qualité à la hauteur du personnage et de ses chansons, l’émotion est puissante quand même, et parce qu’il est touchant, il est beau, beau bizarre, toujours à faire attention à ses cheveux, à s’interroger, à vouloir saisir la perfection. Ses derniers concerts, c’était la messe, une espèce de communion, et il y en a peu comme ça qui ont su parvenir à cet état d’osmose avec son public qui l’écoutait religieusement, en retenant son souffle ou dans un cri d’amour, qui ? Gainsbourg, Bashung, Barbara, Brel… Et là, oui, Bevilacqua, définitivement.
Michaël Pigé