Derrière une apparence de comédie dramatique new-yorkaise déjà vue (et même revue) chez Woody Allen ou Noah Baumbach, Anatomie d’un Divorce se débrouille habilement pour nous mettre, nous spectateurs, devant nos propres préjugés. Une expérience aussi satisfaisante que remarquable !
Oui, oui, on sait, on s’irrite vraiment trop régulièrement sur les traductions de titres de films pourries, et voilà maintenant qu’il va falloir aussi pleurer sur les titres français des séries ! Mais franchement, traduire le génial Fleishman Is in Trouble (soit « Fleishman a des ennuis »…) par Anatomie d’un Divorce, il faut le faire. Et le problème, c’est bien que ce titre français est en contradiction totale avec le contenu et le style de cette (très) brillante mini-série que Disney+ nous offre : le divorce entre Toby et Rachel est un point de départ, non un point d’arrivée, et la série nous parle dans la quasi-totalité de ses épisodes – sauf un, le septième, et on va y revenir – de ce qui se passe APRES la séparation et le divorce. Plus grave, il n’y a rien d’analytique, d’objectif ici, comme ne terme scientifique d’anatomie peut le laisser entendre : nous sommes dans le royaume de la subjectivité, voire même de la mauvaise foi intégrale. Et si à la fin de ces huit épisodes qui varient du banal au génial, on peut affirmer quelque chose, c’est bien qu’il est impossible de comprendre pourquoi un couple fonctionne, et pourquoi il ne fonctionne plus. Ce qui est une leçon certes peu surprenante, mais bougrement intelligente.
Les premiers épisodes de Fleishman Is in Trouble ne surprendront personne… Ni les cinéphiles, qui y retrouverons l’univers juif new yorkais brillamment dépeint dans une bonne partie de la filmographie de Woody Allen, comme dans les films de Noah Baumbach, ni les sériephiles puisqu’il s’agit de jeter un regard distancié et ironique sur le délitement d’individus en perdition dans un milieu social hyper-codifié. La voix off, jusque dans ses intonations, semble directement sortie d’une saison de Desperate Housewives, et c’est à la talentueuse Lizzy Caplan que l’on doit cette mise en abime habile.
Ce que nous raconte Fleishman Is in Trouble, c’est le combat ordinaire de Toby (Jason Eisenberg, dans son rôle habituel, mais comme toujours excellent…) contre la solitude émotionnelle après sa séparation et son divorce de l’amour de sa vie, Rachel (Claire Danes, de plus en plus dure et déséquilibrée, dans la droite ligne de son personnage de Homeland). Mais aussi les ennuis matériels de Toby quand il s’agit de gérer seul ses deux enfants dont il a la charge complète du fait de la « disparition » de leur mère, et ses rapports avec sa famille et ses rares amis, dont Libby (Lizzy Caplan, donc).
Avec un personnage masculin veule mais finalement sympathique et une femme hystérique et insupportable, les 6 premiers épisodes déroulent une suite de gags et de mini-drames fort plaisants, même si l’on reste dans un domaine assez convenu : on souvent est à deux doigt de taxer le film de misogynie, tant Toby semble bénéficier de la bienveillance de Taffy Brodesser-Akner, le créateur de la série et l’auteur du livre dont elle est tirée, alors que Rachel semble irrémédiablement chargée de toutes les fautes du monde. Jusqu’à ce fameux épisode 7 (Me-Time) qui rebat intelligemment les cartes, et nous met en face de nos propres préjugés, de nos a priori que la série avait semble-t-il caressés dans le sens du poil jusque-là.
Il ne reste plus qu’à conclure par un dernier épisode (The Liver) qui a l’originalité de mettre la narratrice sous les projecteurs, pour une remise en cause personnelle et une réflexion profondément touchante sur l’amour et le couple. Grâce à l’intelligence et l’originalité de ses deux derniers épisodes, Fleishman Is in Trouble nous dépose à un point d’arrivée qui n’est pas du tout celui auquel nous nous attendions. Et nous amène à reconsidérer le titre de la série (non, pas le stupide Anatomie d’un Divorce !) : oui, ce « Fleishman qui avait des ennuis », ce n’était pas forcément celui qu’on avait cru.
Brillant, oui.
Eric Debarnot