A l’occasion de cette réédition augmentée de 170 pages inédites, Matthieu Blanchin semble définitivement faire la paix avec ses fantômes, 20 ans après. C’est un tout autre récit qu’il livre ici, bouleversant, cru, et sans la moindre complaisance.
Qui a lu Le Val des ânes (Prix du Premier album au festival d’Angoulême), aura sans aucun doute apprécié ce petit récit touchant d’une enfance sauvage. Comment je ne suis pas devenu un salaud, bien qu’étant en partie réédition de cet album, n’est pas tout à fait la même limonade. Blanchin n’était semble-t-il pas parvenu à se débarrasser de cette boule sur l’estomac. Qu’à cela ne tienne ! Il donne aujourd’hui aux souvenirs qui le hantent une perspective bien différente presque funeste qui flirte avec les gouffres. Il agrémente son récit de ces moments suspendus au-dessus du vide, ces expériences limites au-delà desquelles une vie entière est susceptible de basculer dans l’abime.
Ainsi, nous ne sommes plus seulement dans le souvenir. L’auteur achève manifestement quelque chose, ou plutôt il fait la paix avec des cadavres qui semblent l’avoir pourchassé jusqu’à une date récente, cette BD tenant lieu d’exutoire.
Le récit de Matthieu Blanchin est cruel, sans concession. La sincérité avec laquelle il se livre tout entier, projetant une lumière crue dans les zones d’ombre que généralement l’on préfère garder sous un épais silence, est extrêmement touchante. Plusieurs fois, j’ai eu des frissons à la lecture. Est-ce lié au fait que, par un curieux hasard qui n’en est pas un (le hasard n’existe pas, hein ?), il se trouve que nous avons tous deux vécus des expériences très similaires ? Toujours est-il que j’ai adoré ce flux narratif qui vous emporte comme un tourbillon, avec cette même sensation éprouvée à l’adolescence, sorte de vertige devant la liberté s’ouvrant soudain devant nous ; cet âge au cul entre deux chaises : d’un côté, on a quitté définitivement les terres insouciantes de l’enfance qui néanmoins s’accroche encore, telle une brume au fond de la vallée, et de l’autre on débarque un peu brutalement dans un univers où la responsabilité vous tombe sur le coin du nez comme un voleur au coin d’une ruelle sombre. C’est le temps des choix qui nécessite d’abandonner des illusions, celui des incertitudes qui s’ouvre sur une jungle inextricable. C’est l’âge des prises de conscience et des premiers bilans d’étape. Tout cela, son dessin tout droit extrait de la matière brute le donne à voir et à ressentir avec une belle congruence.
Blanchin partage l’intime avec nous, et nous offre un sacré cadeau. Il nous accorde surtout sa confiance en nous confiant ainsi le secret des situations qui ont scellé ce lourd passif dont il eut toutes les peines du monde à s’extraire, au point qu’il lui fallut des années de thérapies en tous genres pour transcender les souffrances. Oui, la sincérité désarmante dont il fait preuve fait de ce récit un terreau fertile pour qui cherche à éclairer l’avenir à la lueur des erreurs, sinon des expériences passées. Pourquoi Matthieu n’est-il pas devenu un salaud ? Il faudra lire cette BD dont le titre laisse deviner que le passé n’est pas si rigide mais au contraire une matière meuble susceptible de créer de nouvelles formes sur son propre chemin.
Arnaud Proudhon