Natalya Merkulova et Aleksey Chupov filment une sorte de quête métaphysique dans l’URSS de 1938 avec une indéniable puissance d’évocation, mais plombée par cette impression que le film se traîne sans savoir où il va.
URSS, 1938. C’est la Grande Terreur, plus grand massacre d’État jamais perpétré en Europe en temps de paix. Staline purge, et il purge à fond. En un peu plus d’un an, un million et demi de personnes sont arrêtées, et 750 000 d’entre elles sont exécutées. Un citoyen soviétique sur cent est arrêté, un sur deux cents est mis à mort. Tout le monde y passe. Même ceux faisant partie des rouages de l’implacable mécanique stalinienne ne peuvent se soustraire au grand ménage. C’est le cas du capitaine Volkonogov, officier de la police d’État œuvrant à la tyrannie générale, aux tortures (joliment appelées « méthodes spécifiques ») et aux exécutions à la chaîne.
Se sachant à son tour désavoué par sa hiérarchie, il s’échappe. Dans sa fuite, il est frappé d’une vision : pour sauver son âme, il devra se confronter aux familles de ses victimes et obtenir leur pardon. Sa quête de rédemption repose ainsi sur un paradoxe : pour s’épargner les tourments de l’Enfer, il lui faut ne pas mourir (par ses collègues lancés à ses trousses) avant de devoir mourir. Mais qu’importe en réalité le Paradis, qu’importe d’y croire on non, tant qu’il est possible de s’affranchir de cet autre enfer qu’est l’Union soviétique de 1938 avec ses arrestations, ses goulags et ses exils.
Volkonogov, bourreau devenu proie, arpente une ville fantôme (Léningrad) à l’agonie condensant à elle seule les horreurs et conséquences d’un système totalitaire en surrégime, y cherchant son salut parmi ces hommes et ces femmes broyés par la peur et la misère. La force du film est d’avoir préféré, à la reconstitution d’époque littérale, une sorte de vision expressionniste mélangeant les époques (une « rétro-utopie », comme définie par les réalisateurs Natalya Merkulova et Aleksey Chupov) dont le caractère intemporel dit bien les méthodes autocratiques toujours à la mode ici et là (le film, réalisé avant la guerre en Ukraine, résonne aujourd’hui, tristement, avec les actions répressives de Moscou envers les Ukrainiens et sa propre population).
Si le film a donc pour lui cette indéniable puissance d’évocation, il souffre en revanche d’un rythme étrangement mou en dépit de ce sentiment d’urgence et cette volonté d’effervescence convoqués par le scénario. C’est peut-être cet enchevêtrement, assez convenu dans sa construction, de plusieurs lignes narratives (d’un côté la fugue un rien métaphysique de Volkonogov, d’un autre ce capitaine condamné par la maladie qui cherche à l’éliminer, et enfin ces flashbacks évoquant le passé peu glorieux de Volkonogov au sein du NKVD) qui donne l’impression que le film se traîne, ne sait pas (plus) où il veut aller. Et qui fait que l’on ne ressent que trop rarement une tension, un danger prégnant, et finalement un intérêt pour ce capitaine aux yeux bleu acier (Yuriy Borisov, intense) courant à la fois vers l’absolution et à sa perte.
Michaël Pigé