Beaucoup de plaisir cette fois devant les huit nouveaux épisodes de la série adaptée des sagas « YA » de Leigh Bardugo : mais qu’est-ce qui a donc changé ?
On n’avait pas été forcément convaincu par la première saison de Shadow and Bone : la saga Grisha, l’adaptation en série Netflix des livres – à succès – pour « jeunes adultes » de Leigh Bardugo. Et voilà qu’on sort de cette deuxième saison beaucoup plus convaincu : que s’est-il passé pour qu’on se mette cette fois en mode binge watching pour dévorer ces 8 nouveaux épisodes ?
L’un des éléments de réponse est clair : deux ans ont passé, et les acteurs ont vieilli, à un âge déterminant qui leur permet de passer du stade d’adolescents – régulièrement peu crédibles dans des rôles de guerriers, de politiciens, de chefs de bande, de leaders charismatiques – à celui de jeunes adultes, beaucoup plus en phase avec l’histoire que la série raconte. L’histoire elle-même, et c’est logique, s’est déployée, pour devenir plus ample, plus riche en conflits, en tension et en suspense.
Car cette fois, alors que Kirigan a survécu et qu’il revient lutter contre Alina avec des ressources bien plus grandes (ses invincibles guerriers de fumée), la petite bande qui tente de sauver le monde de l’invasion de l’obscurité va avoir fort à faire pour simplement survivre. D’un côté, il y une quête d’artefacts pour augmenter les pouvoirs d’Alina, de l’autre il y a la rencontre avec un flibustier charmeur qui va s’avérer bien plus que ça. A partir de là, il vaut mieux ne rien révéler d’une suite de péripéties plutôt haletantes, qui plus est construites autour de personnages qui gagnent nettement et en profondeur et en ambigüité. La très intéressante conclusion, avec une dernière scène stupéfiante, précise bien ce qui est latent tout au long de la série : la différence entre Bien et Mal est beaucoup plus floue que l’opposition entre obscurité et lumière laisse a priori penser. Grâce au charme de Ben Barnes dans le rôle d’un « Darkling » fasciné et amoureux de son ennemie jurée, mais luttant également contre la souffrance que le Mal provoque en lui, il est impossible de ne voir qu’une vision manichéenne des forces vitales. On est bien plutôt dans une représentation philosophique orientale où l’équilibre entre Yin et Yang est essentiel, et la rupture finale de cet équilibre permet à Shadow and Bone de dépasser le cliché du happy end artificiel. Le dernier plan sur le visage d’Alina Starkov (Jessie Mei Li, beaucoup plus convaincante dans cette seconde saison que dans la première…) est particulièrement puissant, et donne vraiment envie de voir la suite de l’histoire.
Tout n’est malheureusement pas parfait encore : la construction scénaristique est occasionnellement maladroite, et frustrante pour le téléspectateur. Trop de personnages, trop de péripéties se déroulant en parallèle, avec deux fils narratifs entre lesquels Shadow and Bone fait des allers-et-retours, voilà clairement le prix à payer d’avoir voulu assembler en une seule série deux sagas distinctes, celle de Grisha (les orphelins du royaume, Le dragon de glace et l’oiseau de feu) et celle des Six of Crows (Six of Crows et la cité corrompue) : qui trop embrasse, mal étreint, et si, on l’a dit, on prend cette fois le temps de mieux comprendre chacun des personnages, il y avait certainement matière à aller moins vite, et à séparer les deux séries.
Autre problème, lié sans doute aux contraintes budgétaires, c’est le manque d’envergure des conflits : alors qu’on parle de royaumes en guerre, de menace planétaire, etc. le conflit se réduit quasi toujours à quelques dizaines de personnes qui se battent… au point que dans l’avant-dernier épisode, la « grande confrontation finale » devienne vaguement ridicule dans la modestie.
Ce qui nous ramène à ce qui est finalement la vraie force de Shadow and Bone – ce qui nous va très bien, ne nous mentons pas – le charisme de plusieurs personnages, portés par de belles interprétations. On a déjà parlé de Ben Barnes, mais Kit Young – un peu moins sur le devant de la scène cette fois-ci, malheureusement – crève littéralement l’écran à chaque apparition (et sa romance homo avec Wylan est une très belle idée…). Quant au nouveau venu, Patrick Gibson (The OA), il dégage ce genre de charisme exceptionnel qui laisse entrevoir un bel avenir pour lui au cinéma…
… Ce n’est d’ailleurs pas le moindre paradoxe d’une série aussi clairement féministe que Shadow and Bone que de voir ses meilleurs moments reposer sur la performance d’acteurs mâles !
Eric Debarnot