Il faut bien admettre que les chansons les plus enthousiasmantes de The New Pornographers appartiennent désormais au passé, mais cela ne veut pas dire que leur artisanat pop ne soit pas toujours aussi passionnant.
Ah, la Power Pop, quel bonheur ! Mais en fait c’est quoi ? En attendant d’interroger Chat GPT sur le sujet, soyons vieux jeux et allons voir ce que nous dit Wikipédia : « La power pop est un genre musical inspiré de la musique pop et rock britannique des années 1960, qui se caractérise typiquement par un mélange d’éléments musicaux tels que des mélodies prononcées, des chants clairs et des riffs de guitare. Les solos instrumentaux sont habituellement minimes. » Pas mal cette définition, quand même ! On est donc dans la ligne directe de ce que faisaient les Beatles, les Who ou les Kinks lors de leurs premières périodes, l’association de la puissance (« power ») des guitares électriques avec l’évidence des mélodies les plus accrocheuses (« pop »). Un courant musical revitalisé dans les années 80 par l’explosion punk qui avait donné un coup de vieux à la virtuosité musicale gratuite, et qui privilégiait une communication simple, directe, spontanée (parfois faussement spontanée d’ailleurs) et ultra-efficace. La nouvelle Power Pop « after punk » rayonna grâce à des groupes aussi divers que les Buzzcocks, les Undertones, Elvis Costello & The Attractions ou encore, de l’autre côté de l’Atlantique, bien évidemment Blondie, responsables avec Parallel Lines de l’un des chefs d’œuvre absolus de la Power Pop, mais aussi de la prépondérance toujours actuelle de la voix féminine comme meilleur vecteur possible du genre.
En 2023, ce genre qui triompha durant des décennies dans les hitparades mondiaux, mais aussi dans le cœurs des fans, est devenu quasi totalement obsolète : entre le vieillissement des guitares électriques supplantées par l’électronique, la perte d’intérêt quasi-totale de la mélodie supplantée par le rythme, et la synthétisation des voix que l’on n’aime plus « claires », mais au contraire saturées d’effets, la Power Pop est clairement une musique du passé, une musique dépassée. D’où l’une des premières raisons pour laquelle plus personne ne parle désormais de The New Pornographers, « super-groupe » canadien de Power Pop que l’on peut aisément classer parmi les 20 meilleurs de l’histoire du genre. Un groupe qui a donc aujourd’hui le profil de groupe ultra-culte pour happy fews que l’on ne partage pas avec le reste du monde, même si l’on souffre de ce manque de reconnaissance absurde.
Mais soyons honnêtes, il est compréhensible que The New Pornographers ne soient pas populaires : c’est que si la Power Pop est normalement gaie et entraînante, l’évolution du groupe au cours de la dernière décennie les a de plus en plus vus aller dans la direction d’une musique plus introvertie, parfois même dépressive, avec des textes explorant des zones grises de la vie quotidienne ou de l’âme humaine.
C’est la prise de pouvoir progressive au sein du groupe de l’auteur-compositeur AC Newman, aux dépends des deux autres têtes pensantes, Dan Bejar (qui a quitté le groupe) et Neko Case, qui a entériné ce changement d’orientation de The New Pornographers : moins de plaisir immédiat, plus de doutes et d’interrogation, est-on encore sur ce Continue As a Guest dans la Power Pop ? Le premier titre, irrésistible, Really Really Light (il est vrai écrit par AC Newman à partir d’une idée de Dan Bejar !), l’affirme pourtant : tout est là, l’énergie, l’enthousiasme, la positivité, et la… légèreté (« We sit around and talk about the weather / My heart just like a feather / Really, really light » : Nous nous asseyons et parlons de la météo / Mon cœur est comme une plume / Vraiment, vraiment léger…).
Et ce sentiment d’euphorie reviendra, heureusement, occasionnellement, comme dans Bottle Episode… ou comme dans sa magnifique et ambitieuse conclusion, Wish Automatic Suite, une sortie d’album qui n’en est pas vraiment une (« Meet me in the mirror maze, tell me when you find the floor / Tell me when you find your way out » – Retrouve-moi dans le labyrinthe des miroirs, dis-moi quand tu trouves le sol / Dis-moi quand tu trouves la sortie).
C’est que le propos du disque n’est pas très optimiste : à partir de la constatation du mauvais virage pris par les relations sociales, du fait du confinement autant que des dérives des réseaux sociaux, Newman livre une réflexion existentielle préoccupée, qui touchera toutes celles et ceux qui s’interrogent sur la sauvegarde et de leur identité et de leur équilibre mental, en particulier dans une confrontation quotidienne de plus en plus intense avec les mondes virtuels. On est loin des rituelles chansons d’amour et de désir sexuel qui ont alimenté la pop music depuis des décennies, et, musicalement, le résultat est évidemment tout sauf entraînant. On peut compter néanmoins, comme sur le réfléchi mais puissant Continue as a Guest avec l’ajout de cuivres, avec la vitalité du chant de Neko Case et avec les poussées de la section rythmique pour échapper à la monotonie et au spleen : après tout, « Most of us don’t have the luxury of giving in / If you’re talking giving up, well, that’s another thing ! » (La plupart d’entre nous ne peuvent pas se permettre le luxe d’arrêter de lutter / Mais si vous parlez d’accepter la défaite, eh bien, c’est autre chose !).
Pour nous, en tout cas, même s’il est moins immédiatement satisfaisant qu’il ne l’a été, il n’est pas question d’arrêter de croire en la magie de l’artisanat pop, ni de renoncer à écouter The New Pornographers.
Eric Debarnot