A la fin d’un premier trimestre 2023 particulièrement riche et stimulant, on a voulu faire le point sur tout ce qu’on avait aimé. Voici donc la sélection des rédacteurs de chez Benzine des 10 albums « coup de cœur » de ces derniers 3 mois : John Cale, Gaz Coombes, Lana Del Rey, Mozart Estate, The Murder Capital, Ron Sexsmith, Shame, Andy Shauf, Sleaford Mods et Ulrika Spacek.
John Cale – Mercy
A 80 ans, John Cale donne avec Mercy une leçon de musique, mais aussi une leçon jeunesse et de classe. Pas seulement parce qu’il collabore avec certains des artistes prépondérants de notre époque (Weyes Blood, Animal Collective, Fat White Family…), mais aussi parce que, plus d’un demi-siècle après avoir changé le cours de la musique contemporaine avec The Velvet Underground, il est encore capable d’écrire une musique du meilleur des niveaux. La masse, qui semble d’abord confuse, de Mercy s’agite de courants et de mouvements qui révèlent une subtilité et une richesse insoupçonnées : puissant, sombre, envoûtant, mystique, l’album bénéficie de l’ampleur et de la gravité de la voix de Cale, qui surprend toujours, pas un trémolo, pas un tremblement, pas une hésitation… (Domino Recording)
Gaz Coombes – Turn the Car Around
Album après album, même si les Français ne s’en sont pas encore rendu compte, Gaz Coombes construit une œuvre majeure. Il y a dans Turn The Car Around peu de morceaux qui évoquent directement la pop insouciante de Supergrass… Ce qui frappe par contre, c’est l’ambition de la construction des chansons, et de leur orchestration : on est plus du côté des grands disques d’un Bowie ou, pour citer un exemple plus contemporain, du travail d’un Radiohead lorsqu’ils délaissent l’expérimentation pour parler plus franchement au cœur de leurs auditeurs : c’est dire le niveau où nous plaçons ce Turn The Car Around, d’ores et déjà l’un des grands disques de 2023. (Gaz Coombes Ltd)
Lana del Rey – Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd
Encore un disque magnifique de Lana del Rey, son neuvième : dans cet Ocean Blvd, tout est pareil mais, dans le fond, tout est différent, et derrière la continuité d’une œuvre magistrale et cohérente, se dessinent de nouveaux thèmes et de nouvelles expérimentations musicales, puisqu’il s’agit à chaque fois pour Lana de s’approcher de son idéal déclaré d’écrire le « grand roman américain ». Cet album marque une évolution dans la vision très noire que Lana a toujours eu du monde et d’elle-même, et il s’en dégage un sentiment de stabilité nouvelle, ou tout au moins cet espoir d’entrevoir la lumière au bout du tunnel : accepter que l’amour reçu peut changer votre propre estime pour vous-même, et également se pencher sur les relations familiales avec une indéniable tendresse. L’album de la maturité ? (Polydor / Universal)
Mozart Estate – Pop-Up! Ker-Ching! And the Possibilities of Modern Shopping
S’il fallait qualifier la forme musicale principale de cet album littéralement MIRACULEUX de Lawrence (ex-leader de Felt), on pourrait dire qu’il s’agit souvent ici d’une électro-pop primitive (pas si loin finalement de ce que Metronomy ont voulu faire sur certains de leurs albums). Mais ce serait sans doute trop réducteur, puisqu’il y a aussi plus qu’un peu de la variété anglaise pré-Beatles, voire même aussi une douceur orchestrale bon marché qui évoque certaines bizarreries de The Divine Comedy. Ce nouveau disque pose d’emblée un vrai problème par rapport aux albums promis cette année par The Lemon Twigs et par Sparks : ceux-ci ont un sacré défi à relever pour même atteindre le niveau de Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping ! (Cherry Red Records)
The Murder Capital – Gigi’s Recovery
Avec ce second album ambitieux et radicalement différent, les Dublinois de The Murder Capital ont prouvé qu’ils maîtrisent toujours aussi bien tension et paroxysmes d’intensité, en prenant le risque admirable de surprendre et décevoir leurs fans de la première heure. Dompter les ténèbres pour mieux appréhender la lumière, c’est le tour de force ici opéré (et confirmé sur scène au Trabendo) par The Murder Capital, en convoquant avec aisance les tréfonds d’un post-punk torturé pour que jaillissent avec fracas de nouveaux horizons plus radieux. (Human Season Records)
Ron Sexsmith – The Vivian Line
En matière de Pop folk, depuis longtemps déjà, Ron Sexsmith fait partie des incontournables du genre. Avec la discrétion et le talent qui le caractérisent, le songwriter d’origine canadienne continue de distiller des albums plus beaux les uns que les autres. Ce dernier ne fera pas exception à la règle avec une collection de titres parfaitement adorables. Trêve de discours et écoutons immédiatement ce magnifique The Vivian Line. (Cooking Vinyl / Wagram)
SHAME – Food for Worms
SHAME, ces cinq chics types du sud de Londres, dont la générosité s’étale avantageusement sur scène, prennent de l’altitude avec Food for Worms, observent leurs contemporains et s’emportent : toujours aussi énervé, leur rock cinglant gagne en subtilité, au long de dix titres enregistrés dans les conditions du live afin de rester proche des versions explosives jouées en concert. (Dead Oceans)
Andy Shauf – Norm
Alors qu’Andy Shauf avait prévu de partir en tournée pour la sortie de son précédent album The Neon Skyline, la pandémie lui a finalement permis de s’enfermer dans son studio, et de composer un nouvel album, principalement à la guitare, au piano et aux synthétiseurs. Ses objectifs étaient simples : créer quelque chose de mélodique plutôt qu’une musique à base d’accords, et le rendre moderne. Le résultat est touchant de beauté et de simplicité de la part d’un artiste qui continue de nous réjouir avec son petit univers pop tranquille et chaleureux. (ANTI.)
Sleaford Mods – UK GRIM
Faut-il être en colère, punk nostalgique, accro au Collins-Robert ou obsédé par les paroles sur la pochette (old-fashion) afin de les traduire pour aimer UK GRIM des Sleaford Mods ? Non ! Car Jason Williamson ne décolère toujours pas, et Andrew Fearn a sophistiqué ses tempos basiques implacables. On y entend même Florence Shaw de Dry Cleaning et tout le monde en prend pour son grade… Le tout est, comme toujours, magnifiquement intègre ! (Rough Trade)
Ulrika Spacek – Compact Trauma
On l’a longtemps attendu, ce troisième album, sans oser l’espérer, et Ulrika Spacek ont creusé une profonde cavité aux multiples anfractuosités faussement accueillantes, où l’on s’égare et trébuche sans jamais totalement chuter : c’est cette danse chaotique et discordante qui donne à Compact Trauma toute sa saveur. Au terme du voyage à travers ce condensé stupéfiant de sonorités disparates agencées en de subtiles mélodies, tout à la fois délicates et salissantes, il n’y aura ni happy ending ni condamnation, mais peut-être aura-t-on l’impression d’un peu mieux connaître ses démons. (Tough Love / Kuroneko)