Toujours inclassables, toujours funky bizarres, les mancuniens d’A Certain Ratio reviennent avec 1982. Un feu d’artifices de dix titres ! Rien n’a changé, tout a changé. Le groupe reste toujours aussi imprévisible, pas de nostalgie, mais une seule constante : leur groove implacable.
J’avoue avoir raté l’épisode précédent, à savoir la réapparition en 2020 d’A Certain Ratio avec la sortie ACR Loco, il restait pour moi ce groupe mancunien qu’on aimait citer pour faire son snob en 80… : « ah ouais tu ne connais pas A Certain Radio, c’est les Liquid Liquid de Manchester, ils sont signés chez Factory Records et produits par Martin Hannet … tu crains côté musique comme mec … ». Histoire de continuer dans cette veine branchée, nous dirons que si vous trainez chez les disquaires tokyoïtes, il y a de grande chance que vous puissiez trouver tous leurs maxi EPs des années Factory Records à des prix raisonnables. Bref pour ceux qui n’étaient pas nés dans les 80’s ou qui persistaient de penser à cette époque que les punks avaient définitivement ringardiser le disco ou la dance music en général (funk, soul y compris voire le rap), il est utile de rappeler que le single All Night Party d’A Certain Ratio fut l’une des cinq premières références du label Factory Records (c’est pas moi qui vous le dit c’est marqué dans Wikipedia !).
Je ne sais plus trop si on commençait d’être franchement amortis par le takapoum punk, voire d’avoir tourné maniaco-dépressifs à force d’écouter Joy Division au réveil mais l’arrivée de ces inclassables fut des plus rafraichissants mais aussi très déstabilisant pour un jeune pseudo-branché provincial : « je croyais que la dance music c’était pas cool ? », je vous parle d’un temps où les Talking Heads venaient juste de sortir Remain in Light et que beaucoup s’interrogeaient sur ce qu’il fallait en penser… (moi pas !).
Revenons à ce qui nous intéresse et à ce 1982 qui vient de sortir, le titre du LP, son 1er titre Samo (surnom de Jean-Michel Basquiat) et son refrain « Jean-Michel and Andy was right » ne présageaient rien de vraiment rassurant, jouer sur la nostalgie n’a jamais fait des bons disques et sans faire de jeunisme on avait envie de leur dire : « eh les boomers, on passe à autre chose ! ».
Il n’en est rien, ce disque est remarquable notamment par sa capacité de balayer plusieurs styles de dance music, et tout cela avec fraicheur, intégrant ce qui s’est passé depuis les 80’s, notamment l’électro, mais sans perdre ce qui faisait sa singularité il y a maintenant plus de 40 ans (cela ringardiserait même LCD Sound System… Très surestimés de mon point de vue par rapport à ces précurseurs).
Je vous suggère de commencer par le très énervé Tombo in M3 qui nous ramène aux racines jazzy de A Certain Ratio et qui n’est pas sans rappeler également la musique du DJ norvégien Todd Terje, puis d’enchainer avec Holy Smoke qui cette fois-ci vous tirera par la main sur un dancefloor d’un New-York fantasmé… Soufflez un peu en offrant un verre à votre partenaire en écoutant calmement Walking on a train avec en invités la chanteuse mancunienne Ellen Beth Abdi et le rapper Chunky qui nous ramènent à Bristol… Il est temps d’y retourner, cette fois-ci c’est à Berlin qu’on va avec 1982, le bien nommé, qui nous ramène ainsi aux sons kraftwerkien de l’époque… Vous l’aurez compris, ne cherchez pas la cohérence musicale, il n’y en pas vraiment, si ce n’est que les fondamentaux viennent du jazz, de la soul et de la musique afro-américaine en général, mais passés à travers le prisme de musiciens de Manchester nourris aux sons punks. J’allais oublier de parler des guitares et de la basse de Constant Curve, certes délicieusement datés, mais ne refusons pas le plaisir de nous déhancher avec la/le partenaire rencontré(e) précédemment sur le dancefloor.
En résumé, c’est une excellente surprise de voir ressurgir A Certain Ratio, ce groupe de sexagénaires qui a su se régénérer avec 1982 sans rien renier de leur singularité qui fit leur marque de fabrique. Très recommandé.
Éric ATTIC