Dominique Bona, de l’Académie française, nous propose avec Les Partisans de suivre les destins croisés de Joseph Kessel et de son neveu Maurice Druon. Si l’un préfère les grands espaces, l’autre se complait dans le confinement des salons parisiens. Truffé d’anecdotes, ce livre nous plonge dans une histoire française du XXᵉ siècle en compagnie d’hommes d’exception.
Si Joseph Kessel m’a permis, grâce au viatique des 2 tomes de ses Romans et Récits dans la Pléiade, de supporter un confinement strict de 15 jours dans un hôtel singapourien, Maurice Druon, lui, m’a singulièrement émoustillé quand je lisais avidement pré-adolescent Les Rois maudits et notamment la description des galipettes des 3 brus de Philippe le Bel à la tour de Nesles…. Non pas que je veuille faire passer Maurice Druon pour un Marc Dorcel de l’Académie française (et même s’ils ont les mêmes initiales…) mais comme le souligne Dominique Bona dans Les Partisans : « Les scènes de sexe, quasi absentes ou à peine suggérées chez Kessel, qui est pudique quand il écrit, sont nombreuses chez Druon. Il y en a de très brutales dans Les Grandes Familles, comme dans Les Rois Maudits. Quant aux romans mythologiques de Druon, ils n’en sont pas économes. ». Est-ce à dire, comme l’adage populaire, que c’est ceux qui en parlent le plus qui le font le moins… force de constater à la lecture de cette biographie que Joseph Kessel fut un homme à femmes, il les a aimées, abandonnées, entretenues, la liste est assez longue.
Le livre s’ouvre avec l’une d’entre elles, Germaine Sablon. Nous la suivons avec Kessel et Druon traversant à pied, en chaussures de ville, les Pyrénées en décembre 1942 pour tenter de gagner clandestinement l’Espagne puis rejoindre la France libre de de Gaulle à Londres.
Qui est Germaine Sablon : à la fois une chanteuse populaire des années 30, la sœur de Jean Sablon, un chanteur de charme connu mondialement, la première interprète du chant des Partisans (qui donne le titre à cette biographie), l’amante passionnée de Kessel ou surtout une femme d’engagement et de devoir notamment pour son implication dans la résistance pendant la 2ᵉ guerre mondiale ? La première partie de l’ouvrage nous baigne dans cette France libre, qui tente de survivre (non sans profiter d’une vie noctambule très intense) à Londres où Kessel et Druon vont composer le fameux chant des Partisans.
Kessel est dans son élément « ancien combattant de la Grande Guerre. Volontaire à 16 ans dès 1914 », « La guerre, disons-le, exerce sur Kessel une fascination. Malgré les horreurs, une espèce de charme qu’il est allé surprendre et éprouver dans les années vingt et trente à l’autre bout du monde, en Irlande, en Catalogne, en Palestine, en Syrie, au Yémen, partout où les hommes s’affrontent dans des conflits sans fin. », Druon, de 20 ans le cadet de son oncle, ne trouve guère sa place à Londres, cantonné à un rôle subalterne à Radio Londres. N’est-ce qu’il n’a pas l’envergure, la soif aventureuse d’un Jeff et qu’il a finalement plus d’appétence pour les doux crépitements d’un feu de cheminée d’un château provincial que ceux plus sauvages d’un feu de camp au milieu d’un désert afghan ?
Druon est le fils non reconnu du frère de Kessel, Lazare, qui s’est suicidé peu de temps après la naissance de sa progéniture. Dans la lettre qu’il laissera après son décès, il n’aura d’ailleurs aucun mot pour ce dernier. Druon porte le nom de son père adoptif. Le suicide de Lazare est le grand drame de Kessel, on le lit en creux dans Le Tour du Malheur son œuvre majeure de mon point de vue.
Un des intérêts pour le lecteur de l’ouvrage de Dominique Bona est de se repaître d’anecdotes comme une midinette lisant les indiscrétions d’un Voici germanopratin du XXème… il ne faut, certes, pas être allergique au name-dropping. On y apprend ainsi, par exemple, qu’étant à Londres et collaborant au journal France, Kessel a comme correctrice ni plus ni moins que la fille d’Albert Cohen ou encore que les ancêtres maternels de Druon étaient la famille Cros dont l’un fut « troisième souverain d’Araucanie et de Patagonie sous le nom d’Antoine II ! Un successeur de ce royaume imaginaire, le Périgourdin Antoine de Tounens » l’autre Charles Cros (désormais connu pour son académie et son prix) et que 3 autres frères Cros faisaient partie du « Cercle des poètes zutistes qui aimaient répondre zut à tout ». A propos de ses origines Druon – on comprend pourquoi et même si c’est pédant – « J’ai eu souvent le sentiment d’être mon propre géniteur, écrit-il dans ses mémoires. Je ne succède pas. ».
Je ne résiste pas enfin de partager cette terrible et fameuse saillie de Françoise Giroux à propos d’Edmonde Charles-Roux qui fut une des amantes de Kessel : « elle couchait avec tout le monde, c’était presque une manie. ».
Ne me faites pas dire qu’il n’y a que des anecdotes dans Les Partisans on lit aussi avec curiosité la genèse des ouvrages majeurs de nos deux « grands hommes ». Connelly, Chrichton, Ken Follett n’ont rien inventé, la rédaction des sept tomes des Rois maudits a fait appel à une équipe permanente de 4 à 5 collaborateurs (on disait nègres alors) pendant plus d’une vingtaine d’années (de 1955 à 1977). Les scénarises de Games of Thrones se sont d’ailleurs inspirés de nos Atrides français. On suit également Jeff en Afrique, en Afghanistan quand se prépare, s’infuse ce qui va devenir Le Lion ou Les Cavaliers.
Autant l’avouer mais l’inclination du lecteur va évidemment vers Kessel tant ce que décrit Dominique Bona, à propos de Druon, dans sa quête insatiable de notabilité aussi bien en tant qu’académicien, de ministre de la Culture, de thuriféraire de cette bourgeoise des beaux quartiers (on cite souvent Balladur dans Les Partisans) n’attire pas notre sympathie.
Dominique Bona qui est académicienne nous décrit de l’intérieur les intrigues, les petites affaires liées aux élections de nos deux protagonistes, on sent une certaine retenue de sa part comme si elle ne souhaitait pas trop cracher dans la soupe…elle fait, elle aussi, partie du « game » comme on dit aujourd’hui. Kessel et Druon n’avaient pas la même perception de l’Académie Française, le dernier y fera carrière quand l’autre disait : « Quand on est dans les bas-fonds de Calcutta, penser qu’au même moment il y a une séance du dictionnaire et qu’on pourrait y assister, c’est assez savoureux. »
On se doit de signaler que Dominique Bona laisse une large part aux femmes qui ont entouré, secondé Kessel et Druon, on ne peut que l’en féliciter d’autant plus qu’on comprend mieux comment celles-ci étaient traitées et quelles étaient leur place à l’époque, c’est un parfait éclairage de la condition des femmes via le prisme de cet univers bourgeois germanopratin.
Les Partisans ravira les amateurs de biographie historique documentée, c’est parfois un peu long notamment sur Maurice Druon qui est bien falot quand on le compare à son oncle mais a minima on peut espérer que cela incitera les lecteurs à lire ou relire Joseph Kessel qui reste un des grands écrivains du XXIème et pas seulement un reporter aventurier.
Éric ATTIC