On a voyagé hier soir sur la péniche de la Dame de Canton, amarrée au Port de la Gare : malgré les averses glacées d’avril, on a pu rêver avec Franky Maze, puis avec An Eagle in Your Mind, à de grands espaces de liberté reconquise.
La parution de Intersection, le troisième album de An Eagle in your Mind, a réactivé l’intérêt porté à ce drôle de duo étiqueté « Indie Folk Rock », quoi que ce soit que ça signifie, largement passé au-dessous des radars depuis sa formation en 2016. La release party organisée dans le cadre cosy et bienveillant de la Dame de Canton était donc une excellente occasion d’aller juger sur place de quoi il retourne.
Est-ce les averses froides et assez violentes qui douchent Paris en ce jeudi soir (« en Avril, ne te découvre pas… etc.) ou bien la journée de grève perturbant les transports, mais nous sommes vraiment peu nombreux à tenter l’expérience, ce soir…
A 20h35, Franky Maze monte discrètement sur scène, armé de sa guitare acoustique et d’une machine pour générer un accompagnement plus riche. Il vient d’Italie, et c’est un peu triste qu’il doive jouer devant un aussi maigre public, alors que ce qu’il nous propose est aussi intéressant. Franky joue une sorte de pop folk – allez, osons une référence à Fleet Foxes, comme ça, pour fixer un peu le genre – porté par un très, très beau chant, régulièrement en falsetto. Aidé par des boucles qu’il affirme ne pas encore savoir utiliser, il nous emmène dans un voyage de 35 minutes au fil de mélodies accrocheuses dans une atmosphère tantôt mélancolique, tantôt entraînante (Great Sleeve, excellent !). A noter qu’il fera une reprise du Wicked Game de Chris Isaak, pour situer… qui s’avèrera moins convaincante vocalement et musicalement que ses propres titres, tous d’une singulière amplitude. On regrettera quand même un abus d’effets sur sa voix, vraiment pas nécessaire quand on chante aussi bien que Franky. Une très belle découverte, et un artiste au potentiel certain, qu’on aimerait revoir très vite.
Il est 21h30 quand Sophia Achhibat et Raoul Canivet s’installent à leur tour sur la scène, à un moment où la péniche tangue très fortement, du fait du passage de deux imposants bateaux-mouches. Est-ce un signe ? En tous cas, après une petite intro à la guitare de Raoul, on attaque le nouvel album avec Storm, qui nous plonge immédiatement dans l’univers paradoxal de An Eagle in Your Mind : paradoxal parce qu’il y a un aspect folklorique, tribal même dans cette musique, sauf que ce serait le folklore d’un pays imaginaire, qui n’existe pas (encore, du moins). En fermant les yeux, on peut imaginer que cette musique planante, hypnotique, serait celle que les survivants de l’holocauste de Mad Max 2, égarés dans le désert, joueraient pour claironner leur existence face aux hordes de barbares punks qui en veulent à leur citerne d’essence.
Sur Intersection, la voix superbe de Sophie s’élève… comme un aigle vers le soleil, le genre d’images un peu « cheesy » qui peuvent venir à l’esprit quand on médite sur les arpèges de Raoul et les sons rêveurs de l’harmonium indien de Sophia, pardonnez-nous. On Your Shoulders a des sonorités orientalisantes, rappelant que la musique de An Eagle in Your Mind est celle de voyageurs qui parcourent la terre dans leur camionnette, à la recherche de sons et de visages qui puissent alimenter leur rêve d’un monde meilleur, et, bien entendu, leur musique.
Ce qui tranche sur scène par rapport à l’écoute des albums, ce sont les moments, comme sur On Your Shoulders, où Sophia laisse transparaître une colère, une force, une intensité rappelant celle de la jeune Patti Smith, pas moins ! Son visage se crispe, se tort : on comprend ceux qui parlent d’elle comme d’une lionne dangereuse, et à ces moments-là, on a, avouons-le, envie que la musique de An Eagle in Your Mind devienne plus méchante, plus agressive, abandonne le relatif confort de la contemplation intérieure : il en faudrait peu pour que Let Me Ride soit un véritable appel au réveil et à la révolte, au lieu de n’être qu’un rêve sur l’éventualité de cette révolte.
Rainy Day, extrait de l’album précédent, s’avérera à notre avis le plus beau moment du set, peut-être grâce à une mélodie plus accrocheuse, mais aussi, sans doute, parce que l’intervention au chant de Raoul, le dialogue qui s’établit entre les deux voix, renouvelle et dynamise la chanson : on se demande à se moment-là pourquoi ne pas plus explorer cette voie d’un double chant féminin-masculin, qui exprimerait plus encore la véritable essence de cette musique créée par un couple de voyageurs / explorateurs infatigables.
Le set d’une heure cinq se terminera par l’enchaînement d’un ancien morceau, When the Moon Rises, plus traditionnellement folk, et de Desert Land, le titre-bannière du dernier album : « Is there any chance / That we win this game ? / No there is no chance / That we win this game / That’s why I don’t play / And I go / In a Desert Land » (Y a-t-il une chance / Que nous gagnions ce jeu ? / Non il n’y a aucune chance / Que nous gagnions ce jeu / C’est pourquoi je ne joue pas / Et je pars / Dans un désert).
Il est indéniable que l’absence d’un véritable public qui aurait pu faire écho à l’angoisse et à la beauté de la musique du duo s’est fait cruellement sentir ce soir, nous abandonnant avec une sensation de frustration. On a donc hâte de revoir Sophia et Raoul dans de meilleures conditions.
Texte et photos : Eric Debarnot
superbe concert hier soir a la dame de canton