Alors que Hello Tomorrow ! avait tout pour devenir une autre réussite mémorable, voilà que lui est refusée in extremis par ses créateurs et scénaristes sa conclusion logique. Ce qui nous laisse frustrés devant une série brillante, plaisante, mais finalement trop lisse et lénifiante.
Vous en avez marre de votre vie étriquée et sans perspective ? Partez donc vivre sur la lune ! Brightside vous offre cette occasion unique de changer radicalement de perspective ! Et Jack Billings, le représentant de la société vous fera rêver à tel point que signer un contrat pour un pavillon lunaire ne vous paraîtra plus qu’une formalité sans importance !
Nous sommes à la fin des années 50 ou au début des années 60, dans une Amérique opulente où les robots font notre boulot, où les voitures flottent en l’air, et où voyager vers la lune paraît à portée de la main. Et peut-être même de presque toutes bourses… Mais dans cet univers uchronique à la fois rétro et futuriste (le terme approprié est donc rétro-futuriste), les angoisses qui sont les nôtres restent (ou bien étaient déjà…) les mêmes : quelle meilleure manière de gagner de l’argent que de promettre la lune ? Ou tout au moins une vie meilleure…
Mais le séduisant et sympathique Jack cache de bien sombres secrets derrière son sourire irrésistible, son charme pétillant et son inébranlable foi en le succès… Et en un American Dream qui a tout de la mauvaise blague…
On peut regarder Hello Tomorrow !, la série Apple TV comme une nouvelle déclinaison des cauchemars « high concept » qui nous ont déjà donné l’extraordinaire Severance. Et aussi comme une version SF du fameux Mad Men : on retrouve les mêmes discours creux mais enthousiasmants de vendeurs de vent, qui ne tiennent debout que parce qu’ils continuent d’avancer, même quand tous leurs mensonges s’écroulent. On peut aussi apprécier l’inventivité de cet univers chatoyant, à la fois drôle et angoissant dans sa négation complète de l’humanité : le monde du demain dont on rêvait avant-hier, c’est bien notre 2023 avec un demi-siècle d’avance !
De toute manière, on se régalera d’une interprétation de très haut niveau, non seulement d’un Billy Crudup brillant dans ce qui est à date l’un de ses meilleurs rôles, mais de tout le casting… même si la rage désespérée d’une Myrtle Mayburn interprétée par Alison Pill est particulièrement marquante. Et on prendra beaucoup de plaisir à ces surprises que le script malin nous assène régulièrement, jusqu’à un final qu’on aurait espéré plus conclusif. Plus courageux sans doute.
Car, à la fin du dixième épisode, nous demeurons avec cette impression gênante que, à partir d’un tel sujet, avec un tel matériau, Amit Bhalla et Lucas Jansen auraient pu, non, auraient dû frapper beaucoup plus fort. Esquiver le drame comme il le font est forcément décevant, et cette première saison nous laisse sur notre faim : pourquoi donc cette fausse conclusion, alors que le scénario avait accumulé toutes les raisons pour que la catastrophe – anticipée depuis plusieurs épisodes – dévaste ce petit monde construit sur les illusions, les mensonges et la malhonnêteté.
Oui, cette conclusion lénifiante valide cette impression de manque de profondeur qui a infusé, épisode après épisode. Comme si la brillance et l’absence d’aspérités de l’univers dépeint avec brio dans Hello Tomorrow ! avait fini par contaminer la série elle-même.
Ou alors, peut-être nous faut-il attendre la seconde saison ?
Eric Debarnot