Dans la lignée d’un Almost Famous, mais en moins réussi, Daisy Jones & The Six nous raconte la montée vers la gloire et l’explosion en plein vol d’un groupe de Rock des seventies, inspiré de Fleetwood Mac. Agréable mais sans surprise.
Si les biopics de musiciens célèbres, voire de stars, ne manquent pas – on peut néanmoins argumenter qu’il y a relativement peu de chefs d’œuvre dans cette longue liste de films célébrant en général la gloire et la déchéance d’idoles populaires -, on compte sur les doigts d’une main les films proposant une vision plus générique, et donc une analyse plus pertinente du milieu musical. Le plus connu est évidemment A Star Is Born, dont la dernière version ne déméritait pas, et le plus chéri des amateurs de Rock est probablement Almost Famous, où Cameron Crowe payait sa dette au Rock’n’Roll, à travers une chronique juste, excitante (oh, le rush des concerts !), cruelle parfois (oh ! Comme nous étions ridicules !) et finalement émouvante de la « grande époque » du Rock, les seventies. Et c’est évidemment à l’aune du succès de Almost Famous que sera jugée la série TV Daisy Jones & The Six, basée sur un livre de 2019 de Taylor Jenkins Reid, vaguement inspiré de Fleetwood Mac et des histoires d’amour et d’ego complexes au sein du groupe.
Daisy Jones & The Six est donc un groupe imaginaire, jouant un soft rock bien américain, consensuel, qui atteindra donc la popularité, après une première tentative avortée des Dunne Brothers, Billy et Graham, lorsqu’une chanteuse, Daisy Jones, les rejoindra. Mais ce qui fait le succès du groupe, c’est l’alchimie entre ses deux « leaders », Daisy et Billy, qui s’enfoncent peu à peu dans une relation d’amour-haine destructrice, à laquelle le groupe ne survivra pas. Daisy Jones & The Six est construit sur le mode du flashback, à partir d’interviews des protagonistes, dans le but de nous faire découvrir peu à peu ce qui s’est passé, en créant une sorte suspense, assez – peut-être trop ? – classique : on sait que tout cela finira mal, on a envie de comprendre comment.
Les paramètres en jeu ici ne surprendront personne : sexe, drugs, rock’n’roll, plus une guerre d’égo entre artistes jaloux les uns des autres. Ajoutons les éléments psychanalytiques classiques (Billy et Daisy ont tous deux eu une enfance privée d’amour !), des personnages-stéréotypes incontournables (un manager génial et père de remplacement, un batteur toujours heureux de la vie et ravi du succès rencontré, un journaliste manipulateur), et il est bien difficile de voir ce qui pourra faire la particularité de la série. Et ce d’autant que – c’est bien le problème des films traitant de groupes imaginaires – la musique créée et jouée par Daisy Jones & The Six n’a pas grand intérêt, ce qui décrédibilise quand même largement leur soi-disant folle popularité !
Pourtant, Daisy Jones & The Six fonctionne souvent très bien, en particulier dans ses premiers épisodes consacrés aux années de galère, de recherche du succès, où Michael H. Weber et Scott Neustadter arrivent à retransmettre l’énergie juvénile de jeunes artistes déterminés à « y arriver », à conquérir leurs rêves. La description de la difficulté du travail de composition est pertinente, et la guerre d’égo entre Daisy et Billy est-elle-même assez savoureuse : tout amateur de Rock y trouvera des échos d’une multitude de situations similaires dans les grands groupes de l’histoire du Rock.
C’est finalement dans la dernière ligne droite que la série perd de son allant : en parcourant, sans grande imagination, le terrain trop balisé des histoires sentimentales impossibles, et en débouchant sur un dernier épisode forçant sur le mélodrame et très efficace pour faire couler les larmes des téléspectateurs, Daisy Jones & The Six retombe dans une certaine banalité.
On grimacera aussi sur l’inutilité de doubler le parcours de Daisy par celui, finalement assez similaire, d’une colocataire, Simone, forcément lesbienne pour être au goût du jour, et sur le manque de consistance des personnages des autres musiciens du groupe, auxquels on a du mal à s’attacher. Si l’interprétation générale est correcte, c’est la quasi inconnue mais charismatique Camila Morrone qui se détache franchement du lot, qui plus est dans le rôle ingrat de l’épouse trahie : on a hâte de la revoir.
Finalement, ce qu’on aimera retenir, c’est ce moment où la route des « jeunes dinosaures » de Daisy Jones & The Six croise celle du mouvement punk qui démarre, faisant naître le doute dans l’esprit d’Eddie, le bassiste. De la même manière que ce rock convenu allait perdre de sa pertinence du fait de l’évolution du monde, sans doute serait-il plus intéressant de réfléchir à des films et des séries qui travaillent les aspects plus sociétaux, plus politiques, de la musique populaire : là encore, il y a des exemples, en particulier autour du rap et du hip-hop, mais certainement pas assez…
Eric Debarnot