Après de courts essais consacrés à des chansons culte, la collection de Boulon publie un livre narrant la passion dévorante d’un rock critique pour un artiste à l’aura inversement proportionnelle à son succès.
Ce livre n’est pas un livre sur Scott Walker. Il serait plutôt une entreprise à la Nick Hornby autour d’une figure mythique, culte et influente : comment l’obsession pour Scott Walker s’est inscrite dans la vie professionnelle et personnelle de François Gorin, œuvrant désormais pour Télérama. Si tel élément biographique ou telle appréciation de l’œuvre surviennent, ce sera au travers de ce prisme. Walker est une figure dont on fait la nécro alors que son décès ne passionne pas les collègues du journal. Walker est ici cet artiste dont on se met en quête des disques parce qu’ils sont alors difficiles à trouver, même en voyageant régulièrement au Royaume-Uni dans les années 1980. C’était d’ailleurs pour contrer cette rareté que le critique/rocker liverpuldien Julian Cope confectionna lui-même une compilation de l’artiste.
A côté de cette quête du disque rare désormais rendue caduque par Youtube, Walker est aussi l’artiste dont Gorin défend bec et ongles dans un papier Rock et Folk l’album Climate of Hunter en étant conscient que ce n’était pas musicalement le truc le plus vital pour lui à ce moment-là, en pleine explosion des Smiths. Parce que ce pan de la musique était alors ignoré par la rock critique hexagonale dominante. Il est aussi terre de clivage de goûts avec une connaissance ou avec ses ex. L’aliénation provoquée par la passion de Gorin pour Scott Walker va rejoindre le propre statut d’Alien de Walker dans l’histoire du rock. Du temps des Walker Brothers, il se dispute les faveurs des filles britanniques avec Jagger. Sauf que contrairement à celle des Stones la musique des Walker Brothers est déjà anachronique. Ce qui sera encore plus le cas avec une carrière solo de plus en plus confidentielle, de plus en plus inhospitalière pour l’auditeur rock de base. Mais dont les musiciens/interprètes laudateurs seront progressivement plus nombreux que les premiers happy few Bowie/Cope/Marc Almond.
Si Gorin fait de Bowie celui qui donnerait avec son testament artistique Blackstar une version plus pop et accessible des recherches artistiques des derniers Scott Walker, si les compositions de Walker pour Nite Flights des Walker Brothers furent influencées par le Bowie berlinois, j’aurais plutôt tendance à formuler les liens/oppositions entre eux différemment. D’un côté un Walker souvent étranger aux tendances musicales de son temps, pouvant guider l’auditeur sur des terres musicales inhospitalières mais jamais découvertes avant lui grâce au magnétisme mi-détaché mi-crooner de sa voix. De l’autre un Bowie lui aussi homme qui venait d’ailleurs, lui aussi avant-gardiste mais une avant-garde se construisant en vampirisant les tendances musicales du présent, du mainstream ou des marges. Mais Bowie ne s’est pas contenté d’ajouter à ses modèles un sens de la mélodie catchy dont ils étaient souvent dépourvus, il a aussi annoncé le futur du Rock : pas de New Wave britonne sans The Idiot.
Mais pour se recentrer sur le livre : un bouquin racontant comment Le Septième Sceau a pu incarner une forme d’évasion pour un Américain vaut forcément le détour. Un bouquin qui raconte comment une Bunny allemande rencontrée lors d’une soirée Playboy lui fait découvrir Brel en lui traduisant ses textes et le lance indirectement sur la pente tourmentée de sa carrière solo aussi.
Ordell Robbie