En 1968, malgré les nombreux problèmes que les tout jeunes Pink Floyd doivent endurer (éviction de leur chanteur/leader, abandon de leurs producteurs/managers…), ils mettent en chantier leur deuxième album. Un disque fragile, hésitant. Des Floyd qui tâtonnent encore, perdus, sans leur tête pensante. Mais au fil de l’écoute, il se dessine autre chose : un autre style, une nouvelle direction. Roger Waters et Richard Wright prennent le contrôle du groupe et mènent les Pink Floyd vers les cimes du Space Rock, laissant derrière eux ce bon Syd et son Rock Psychédélique. Adieu Syd !
Numéro 6 ! Numéro 6 des ventes sur l’île Bretonne ! C’est pas rien !
Ce Piper at the Gates of Dawn malgré son étrangeté, malgré ses terrifiants voyages spatiaux et ses contines d’un autre âge a fait son trou dans les charts du pays.
Les errances hallucinées de son auteur ont touché le mille de cette hype londonienne maintenant toute puissante. Syd Barret a en effet offert, sans fard, sa psyché défaillante gravée au burin sur un bout de vinyle. Le gamin de Cambridge a juste eu le temps d’écrire une histoire, son histoire sur ce tout premier jet floydien. Raconter en musique sa lente descente aux enfers, ses explorations stupéfiantes dans ce cosmos cauchemardesque, ces abysses infinies où plus rien n’a de débuts ni de fins, ce néant cannibale qui engloutit tout devant lui. Raconter ces atterrissages forcés sur les territoires mouvants d’une enfance forcément fantasmée. Se raccrocher à ces histoires d’enfants sages, ces contines qui finissent bien, toujours accompagnées d’un doux baiser maternel sur le front.
Mais en ce début d’année 1968, il semble que ce soit l’espace, ce cosmos dévoreur d’âmes, qui a définitivement pris le pas sur la terre ferme. Syd ne retrouve plus le chemin des vertes prairies de son enfance; le voilà errant dans l’immensité glacée tentant vainement, tel l’Ulysse d’Homère, de retrouver ses pénates. Car oui; Syd, lentement, progressivement, presque naturellement, a sombré. Le LSD, cette drogue chamanique, cette chimère chimique, lui dévore amoureusement le cerveau faisant de lui, de ce leader né, du patron incontesté de ce Floyd psychédélique, un voyageur hébété, perdu au milieu de la voie lactée. Syd ne se rend plus aux concerts, et quand il y est il ne joue plus, ou une seule note, ou s’en va en plein set laissant les copains se débrouiller comme ils le peuvent.
Roger Waters et Richard Wright doivent prendre une décision s’ils veulent sauver le groupe. Quelques guitaristes viendront aider le groupe lorsque Syd ne se présentera pas aux concerts ou les quittera précipitamment sous le coup de crises d’angoisse tétanisantes jusqu’à ce que, de retour de Paris où il vivait, Waters fasse appel au vieux copain de Cambridge David Gilmour.
David est là en soutien – pour l’instant – sur scène. Lorsque Syd arrache les cordes de sa guitare et s’enfuit en courant d’une scène londonienne, c’est lui qui tiendra la guitare et la baraque Pink Floyd empêchant le groupe de sombrer avec son frontman.
C’est la fin pour Syd. L’âme des Pink Floyd s’est perdu entre deux étoiles de la galaxie d’Andromède, entre ce vieux saule au bord de la rivière et ce petit chemin étroit au milieu de la forêt qui ne mène nulle part. Syd navigue maintenant dans cette autre sphère, ce gigantesque néant qui se trouve entre les étoiles et l’herbe tendre et qui a fait son nid dans son cerveau rongé par les acides. Le capitaine du navire Pink Floyd ne répond plus, porté disparu dans l’immense océan qui rugit dans son crâne.
Roger et Richard doivent décider. Périr ou survivre. Choisir entre laisser couler le navire Pink Floyd et couler eux-mêmes avec le capitaine Barret à la barre ou sauver ce qui peut encore l’être, sauter dans un putain de radeau de sauvetage et ramer pour tenter de sauver leur peau.
Le 6 Avril 1968 Syd est officiellement renvoyé du groupe, laissant une formation prometteuse sans tête.
King et Jenner les deux managers du groupe estimant que sans Syd les Pink Floyd ne pourront survivre, Blackhill Entreprises rompt alors le contrat du groupe et signent Syd pour une future carrière solo.
C’est entre 1967 et 1968 que va se fabriquer ce deuxième album. Une drôle de production, un Pink Floyd sans véritable tête, mais un duo semble s’esquisser pour l’instant. C’est Roger Waters et Rick Wright qui s’accrochent aux rames et tentent de garder le cap dans cette tempête. C’est d’eux que vient la décision d’exclure Syd – l’homme ne parvenant plus à jouer en public, ne se présentant même plus aux concerts – et d’intégrer progressivement l’ami de longue date: David Gilmour.
C’est avec Syd que commence pourtant la production du deuxième album tant attendu de la nouvelle coqueluche du tout-Londres, ce Pink Floyd devenu tellement hype avec l’explosion en Angleterre – et ailleurs – de ce Rock Psychédélique sulfureux. Mais si Syd participe, enregistre quelques guitares notamment pour Jugband Blues, Remember a Day ou Set the Controls for the Heart of the Sun, ce n’est plus lui à la barre du navire. Deux nouveaux capitaines se partagent le commandement de l’encore petit bateau Pink Floyd.
C’est d’ailleurs comme un signe, comme un édit royal, la promulgation officielle d’un changement de souverain, de dynastie. Dès l’ouverture de l’album Waters fait vrombir sa basse emplissant l’espace d’un riff spectaculaire et inquiétant, tandis qu’au loin Wright fait résonner un orgue sépulcral. Paraphrasant la sentence biblique (Let there be light /« Que la lumière soit »), Let There Be More Light annonce la nouvelle ambition Floydienne. Après les débuts laborieux, la folie castratrice de Barret et finalement son éviction, la fuite de leur producteurs/managers après le départ de Syd, c’est effectivement à plus de lumière qu’aspirent les Pink Floyd. Plus de lumière pour tenter de voir enfin un horizon pour leur avenir, plus de lumière pour Roger et Richard, qu’ils puissent, eux aussi, griffer les Pink Floyd de leur empreinte musicale, plus de lumière également pour trouver comme ils le peuvent, à tâtons, la difficile sortie de l’impasse Syd.
Mais pour l’instant c’est à une structure similaire à The Piper… combinant une pièce centrale (A Saucerful Of Secrets qui donnera le titre à l’album) longue, obscure et abstraite et des titres plus courts qui viennent tourner autour comme des satellites sous l’attraction malfaisante de cette énorme lune noire qu’est le morceau. Si la structure du disque, son ossature reste proche du premier album, les compositions elles se démarquent légèrement pour l’instant, Syd étant encore là et le duo Waters/Wright n’ayant pas encore pris ses marques. Mais insensiblement le style se métamorphose. Les contines fantasques pleine de gnomes étranges et de chats sataniques de Syd disparaissent au profit d’extra-terrestres belliqueux sur le point d’envahir la planète (Let There Be More Light).
Les thèmes changent mais pas que !
Il y a une grande absente dans cet album. Une grande oubliée pourtant si présente sur le premier disque.
C’est pourtant là que la transition se fait, que la démarcation entre Pink Floyd et Pink Floyd se réalise.
Finie la Pop !
Ce noyau atomique du premier Floyd, cette Pop qui venait éclaircir le ciel après Astronomy Domine, qui chassait les nuages noirs de l’inquiétante Interstellar Overdrive n’est plus (ou presque). Cette Pop qui rassurait après les tortueux voyages spatiaux de Syd. Car oui ! Syd n’est pas parti seul de Pink Floyd. Il a pris sous le bras cette Pop Psychédélique qu’il faisait si bien, qu’il comprenait parfaitement et qui semble déjà si loin de ses compagnons. Même l’espace pourtant si cher à Syd n’a plus le même goût. Là où Syd se méfiait de l’attraction de ce néant intrigant, Roger s’y plonge, s’y complaît, appelant de ses voeux les puissances extra-terrestres (Let There Be More Light) ou souhaitant aller toucher le coeur même du soleil (Set The Controls For The Heart Of The Sun). La perception de ce cosmos n’est pas la même. Syd désamorçait sa peur avec une Pop enfantine, terre à terre et rassurante; Roger lui n’a pas peur et fait de l’espace infini une source de plaisir et de créativité sans limite. Là où Syd modelait sa Pop Psychédélique, Roger créait le Space Rock.
Car si l’écriture de A Saucerful Of Secrets s’est – majoritairement – fait entre Roger Waters et Richard Wright. L’impact musical, la puissance créatrice – quoi que l’on puisse en dire – est du côté du bassiste de Pink Floyd. C’est d’ailleurs la basse qui ouvre l’album comme pour annoncer le changement de direction – dans les deux sens du terme – (Let There Be More Light) et quelle ouverture ! La basse vient également hanter Set The Controls For The Heart Of The Sun ajoutant son riff entêtant à ce voyage chamanique angoissant où Roger doucement psalmodie une prière païenne au Dieu Soleil.
C’est également lui qui rendra l’hommage à cette Pop bringuebalante et psychédélique avec la splendide Corporal Clegg et son infernal solo de Kazoo, effleurant – cette fois – avec humour le thème de la seconde guerre mondiale (où son père périra à la bataille d’Anzio en 1944) qui restera l’un des thèmes centraux de l’imaginaire – et du traumatisme – Watersien. Certes Richard Wright n’est pas en reste avec Remenber a Day et See-Saw (avec son utilisation du Mellotron qui préfigure ce Rock Progressif encore balbutiant et qui deviendra de plus en plus prégnant dans le son du futur Pink Floyd), jolis titres, ciselés avec soin, des morceaux plus calme, sereins, de cette sérénité que peut dégager Wright. Des morceaux paisibles et peut-être plus anodins finalement que les délires Space Rock, plus inspirés, de Waters.
…et comme un fantôme, comme l’esprit d’un Pink Floyd ancien, presque déjà oublié, un Syd Barret abstrait, chimérique vient offrir sa dernière et splendide contribution à ce groupe dont – il y a pourtant si peu – il était encore le leader incontesté et incontestable. Jugband Blues sonne déjà d’une autre époque. L’époque d’un Floyd sous emprise Barretienne, sous la forte et hypé influence d’un Rock Psychédélique chéri par le Swinging London. Ce monde semble déjà dépassé. Syd livre un morceau délicieusement suranné, où la voix et la guitare, funambules, tatônnent sur le fil, menaçant de tomber à chaque instants du côté de la fausse note ou de l’harmonie sublime sans ne jamais tomber d’un côté ou de l’autre. Les quelques musiciens de la fanfare de l’armée du salut que Syd trouva sur le trottoir d’en face et auxquels il demandera de jouer selon leur envie n’y fera rien, c’est le morceau d’un homme qui n’est plus là.
L’homme d’une autre époque. Fixé à jamais dans la roche de ce Rock Psychédélique. Pétrifié comme l’emblème acidifiée de cette maudite année 1967 qui aura laissé dériver, puis emporter définitivement dans les eaux boueuses du LSD un jeune homme trop fragile et un merveilleux artiste.
Adieu Syd.
Bonjour Roger !
Renaud ZBN
J’adore ton approche de la situation et des personnalités floydiennes ! Merci !
Merci beaucoup Valérie
On va essayer de continuer à te contenter (;
Très bon article. Au fait, c’est BarreTT.
Le Mellotron ? Il réapparaîtra sur Sysyphus dans Ummagumma en 1969 et dans la plage contemporaine de la suite Atom Heart Mother en 1970, mais c’est tout. Et jamais sur scène.
Les Floyd, progressifs ? Contrairement aux groupes qui donneront leurs lettres de noblesse à ce style un ou 2 ans plus tard (et qui n’hésitent pas à emporter le Mellotron sur scène), les Floyd ne savent qu’à peine jouer, « with random precision », incapables de suivre une structure complexe, de compter les mesures, encore moins des mesures asymétriques (de leur propre aveu). Ils se basent encore sur un blues à 4 temps paresseux. Certes, ce sont de magnifiques poètes et des concepteurs visionnaires, mais tout sauf virtuoses et classicisants. Même Gilmour, malgré son magnifique toucher chantant bluesy, est incapable de rivaliser avec les exploits de Fripp, Howe, Hackett et les autres.
Space rock, expérimental ?Assurément. Et les meilleurs. Prog ? Pas réellement, si on les compare aux vrais groupes prog.
Merci !
Merci pour ces précisions cher Nicolas.