Retour parisien réussi pour Marquis à Petit Bain : un groupe talentueux qui regarde vers l’avenir plutôt que de se reposer sur les lauriers de son glorieux passé, et qui en a clairement « sous la pédale »…
Le second et très réussi album de Marquis (-ex de Sade) est fêté ce soir à Petit Bain, et, logiquement, le public est très… homogène, largement composé d’anciens combattants des années 80 : ce manque de diversité du public – une plaie dans certains concerts, il faut bien l’admettre – nous ferait presque regretter de ne pas avoir plutôt rendu visite à ce joyeux drille de Bill Callahan au Trianon. Mais bon, les véritables héros du rock français d’antan sont trop rares pour qu’on n’ait pas la politesse d’aller leur tirer notre chapeau…
20h : Et puisqu’on parle de combattants, c’est Daniel Pabœuf, une figure importante de la scène rennaise depuis des décennies, officiant aux cuivres dans Marquis, qui ouvre la soirée. Dès le premier morceau, construit sur des boucles et mêlant riffs de saxo alto et chant, on est embarqué par la ferveur de Daniel : voici un homme qui croit en la musique, en son pouvoir, et même, vieille antienne qui ne semble plus autant à l’ordre du jour alors que le vent de la révolte souffle pourtant sur la France, au fait qu’il faut chanter la colère. Si le chant n’est pas le point le plus fort de Daniel, sa conviction porte ses paroles martiales de manière à la fois convaincante et touchante, sur des titres comme War (« We are all soldiers / we are all fighters ») ou encore sur le très beau L’Hélico au refrain parfait en notre ère d’abus anti-démocratiques en tous genres : « We want the truth / We want respect ». A noter, dans un registre bien différent, une reprise réussie – en tous cas pour les analphabètes que nous sommes en matière de jazz – du Lonely Woman d’Ornette Coleman (salué par un « C’est magnifique ! » venu du public). Pabœuf termine sa demi-heure de set sur I’m a wreck, chanson ironique (?) ou peut-être désespérée. De l’emphase bien placée, du talent et un esprit indie et rebelle qui ne s’use que si on ne s’en sert pas : une belle introduction à cette soirée rennaise…
21h : Beaucoup de potes de Rennes – qui aiment converser avec le groupe entre les morceaux, ce qui est sympathique, mais un peu lourd… – pour accueillir ce septuor qu’est désormais Marquis. On attaque sur Er Maez, un titre que nous persistons à trouver peu convaincant par rapport au reste de l’album, mais qui permet au moins aux musiciens de prendre gentiment leurs marques, et les choses sérieuses débutent sur le magnifique Henry Lee Didn’t Do It : le groupe joue raide, serré, nerveux, mieux même peut-être que ne jouait Marquis de Sade dans nos souvenirs (qui peuvent nous tromper, nous ne le nions pas…).
In The Mood For The Sun nous fait regretter évidemment qu’Elli Medeiros ne fasse pas partie des invités ce soir – mais il ne fallait pas rêver –, même si Apoline Jousseaume, la claviériste, fait un bon boulot vocalement ! Flags of Utopia nous rappelle qu’avant Konstanz, Marquis avaient publié un premier album, malheureusement passé à la trappe du fait du Covid, et auquel il convient de donner une seconde chance… Mais c’est aussi le moment de confirmer l’apport fantastique de Niko Boyer à la guitare : cet ancien de Détroit apporte en permanence une furie, une incandescence qui fait monter la tension de la musique de Marquis. On a bien aimé le fait que l’album fasse appel à des guitaristes prestigieux pour donner un coup de main, mais, les amis, quand on a un guitariste du calibre de Niko, pas besoin d’aller voir ailleurs !
Glorie, chanté partiellement en flamand (enfin, il nous semble…) nous offre l’occasion de confirmer que le jeune Simon Mahieu est une recrue formidable pour le groupe : charismatique, intense, il a tout d’une future rock star « à l’ancienne », et attire tous les regards. Et ce qui devient également évident au fur et à mesure que le set se déroule, c’est sa belle complicité avec Franck Darcel, le plaisir que ces deux-là prennent à jouer ensemble sur scène. Un rapport père-fils autant que d’amitié, peut-être, vu la différence d’âge ?
Le romantique et cool I Wasn’t Born for Real bénéficie de l’apparition sur scène d’un premier invité, le saxophoniste Pierrick Pedron qui illumine littéralement le morceau : splendide !
Bon, on ne va pas revenir sur chacun des vingt titres constituant les 90 minutes du set de ce soir, on va juste regretter un « petit truc », c’est que le set ait eu du mal à atteindre le niveau d’intensité « orgasmique » qui se profilait : la faute à un public vraiment trop calme, ce qui visiblement inquiétait et frustrait Simon ? Ou bien le groupe – qui en a clairement sous la pédale – n’a pas encore atteint le niveau de pratique scénique lui permettant de larguer complètement les amarres, et reste encore un peu trop dans le « contrôle », là où un zeste de folie ferait basculer tout ça…
… Mais heureusement, après la parenthèse enchantée d’Immensité de la Jeunesse, Marquis se lancent dans une version brutale de Set in Motion Memories (qui fut quand même le premier titre du premier album de Marquis de Sade en 1979…) pendant laquelle le concert va enfin vraiment décoller. On enchaîne ce grand moment, le pic de la soirée, avec un hommage rendu à Arno : une version, inévitablement enthousiasmante, de Putain Putain (« Putain, Putain / C’est vachement bien / Nous sommes quand même / Tous des Européens ! »), avec le renfort d’Adriano Cominotto (qui travailla avec Arno, justement) aux claviers.
Pour la fin du set, on aura droit enfin à la présence du toujours bien allumé Denis Bortek, qui débarque tout juste du Trabendo, où Jad Wio faisait la première partie de The Mission : bonne ambiance générale… Rappel généreux de trois titres, surtout notable pour une belle interprétation du lyrique Exotica.
Avec seulement trois titres de feu Marquis de Sade sur la setlist (Brouillard défnitif, Set in Motion Memories et Skin Desease), il est clair que Marquis est désormais un autre groupe, qui a su « se dégager » de son passé sans le renier pour autant, et qui propose une musique de notre époque. On espère donc que ces musiciens talentueux arriveront à recruter un plus jeune public, qui les portera au-delà de la nostalgie des années 80… Ils le méritent.
Texte et photos : Eric Debarnot