FEWS donne des sueurs si froides qu’elles en deviennent brûlantes. Dans la continuité de ses deux premiers albums, il fait son retour avec un nouveau condensé de titres aussi glaçants qu’enivrants.
Les membres de FEWS officient tous désormais à Malmö en Suède, d’où le raccourci emprunté qu’est celui de qualifier le groupe de « suédois », mais la formation doit en réalité beaucoup à Londres, d’où l’annonce de quelques dates exclusivement britanniques et quasi sold-out (tandis que nous attendons encore notre part du gâteau). Lancé par le producteur Dan Carey (Tame Impala, Fontaines D.C., Squid…), leur premier album Means sorti en 2016 leur permettait de tourner avec les Pixies la même année, attirant quelques curieux de cette post-cold-wave (etc.) aux accents motorik. Into Red envoyait ensuite valser le risque de la chute au second album, mais vous connaissez la chanson, l’album est sorti en 2019, alors le groupe n’a pas pu le défendre autant qu’il l’aurait voulu sur scène, et c’est ce qui explique peut-être qu’on ne connaisse pas tant FEWS par chez nous, à regret.
On ose dire que c’est un tort, car la discographie de FEWS offre de quoi se frotter à l’urgence du post-punk, l’intelligence du krautrock, et à ce qu’ont de plus noisy la coldwave et le shoegaze, sans que cela soit une tare que de goûter à autant de genres que l’on pense souvent usés. Leur musique est piquante, incisive et construite toute en contrastes. On pourrait citer Interpol s’il fallait accoler au groupe une référence, mais FEWS, c’est surtout une bande de mecs étrangement nerveux et flegmatiques à la fois, qui donnent l’impression de n’aller nulle part tout en édifiant des mélodies sacrément enivrantes.
Glass City ne déroge pas à la ligne de conduite du groupe, si ce n’est qu’il a été produit en indépendant à la différence des deux premiers, mais il est tout aussi bon, voire meilleur. Une fois encore avec ce troisième opus, on pense avoir entendu mille fois ce que fait FEWS, et pourtant, on finit toujours agréablement surpris et entraîné de force par le mouvement perpétuel de leurs deux guitares qui s’étendent sur tant de pistes qu’elles en paraissent dix. Yoga Instructor pourrait d’ailleurs servir de mise en bouche efficace pour qui n’est pas initié à FEWS. C’est terriblement accrocheur, mais pas à la manière aussi évidente que celle d’un titre comme More Than Ever ; tout y est plus aiguisé, si bien qu’on prend d’autant plus de plaisir à s’abandonner à ce tempo impérieux, angoissé et définitivement entêtant.
L’ensemble de l’album ne révèle pas de prise de position radicale de la part du groupe, mais plutôt un perfectionnement de ce qu’il sait déjà faire, et peut-être une appropriation plus marquée de ce post-punk frigorifiant dont il a fait sa marque de fabrique. Il décoche un rythme et ne le quitte plus, pas de bouton off chez FEWS, et sur Glass City, tout est plus fort, plus noisy, plus électrique. La plupart des morceaux s’y complaisent dans le fracas et l’urgence, en témoignent les guitares effrénées de MASSOLIT ou Get Out ; la voix de Frederick Rundquist s’y superpose toujours avec une nonchalance ahurie, mais aussi une intime fureur qui offre la possibilité à des titres provocants comme Adore ou In Head de grapiller encore quelques décibels.
Néanmoins, FEWS sait aussi tempérer sa colère sourde, dans une certaine mesure et à l’image de Soon, moins nerveux, moins survolté, mais à l’amplitude étendue et hypnotique. Ses guitares deviennent ahanantes sur Fled, s’écoulant en une cascade sempiternelle, nous laissant l’âme un peu secouée par la descente. Le ton de Frederick Rundquist devient ensuite presque processionnel sur Strafe, tandis que les cordes se mêlent et s’emmêlent en une danse presque macabre et délicieusement saturée.
Le quatuor aurait pu en finir avec Outing : voix plaintive, lointain écho, guitares graves et planantes, annonciatrices d’une chute imminente. Mais ce n’est que l’outro avant l’outro, car c’eut été trop facile de terminer de cette manière, et c’est finalement avec fougue et éclat qu’il nous quitte sur Amend, titre à la hauteur de la furieuse énergie qui alimente ses turbines depuis sept ans.
Il est question de s’amender par la sincérité sur ce dernier morceau, et c’est ce qu’on accorde volontiers à FEWS. Rester fidèle à soi-même, sans pour autant s’engourdir dans une position surannée, ce n’est pas donné à n’importe quel groupe, surtout sur le terrain miné du post-punk, mais Glass City confirme que c’est de la trempe de FEWS.
Marion des Forts