L’un des meilleurs groupes belges de rock indé de la dernière décennie nous faisait hier soir ses adieux, mais il ne fait aucun doute que la flamme qui brûlait dans le cœur des fans de BRNS hier soir au Supersonic ne n’éteindra pas de sitôt.
BRNS a toujours fait les choses bien (si on exclut le fait qu’il n’ait jamais réussi à faire comprendre au monde entier que l’on prononçait « brains »). Quatre albums qui ne se ressemblent pas mais sonnent tous aussi bien, du premier et magistral Wounded au dernier, moins plébiscité mais d’autant plus téméraire Celluloïd Swamp. BRNS a eu cette formidable capacité à produire des titres à la fois aventureux et accessibles, tortueux et limpides, grinçants et harmonieux. Il a toujours conservé durant onze ans, la même identité, déclinée en différents projets singuliers dont on ne se lasse jamais, qui tournent en boucle et continueront de le faire des années durant.
Pas de point noir ou de phase décadente à déplorer chez BRNS donc, et il n’y en aura jamais, car l’aventure du quatuor belge s’arrête aujourd’hui. C’est le bon moment, sans doute, pour figer dans le temps et les esprits une musique intelligente, viscérale et touchante, que l’on se sent privilégié d’avoir partagée. Malgré tout, c’est avec un certain pincement au cœur que l’on s’est rendu hier soir au Supersonic pour faire nos adieux à une formation qui aura décidément tout compris au métier d’artiste.
Avant de communier une dernière fois avec BRNS, Gavagaii s’empare de la scène du Supersonic avec son rock grunge et dévoyé. Le chanteur a l’attitude d’un Sebastian Murphy (Viagra Boys), et sa voix à la fois nonchalante et nasillarde se marie plutôt bien avec l’énergie sulfureuse des musiciens. Sur une guitare trépidante et agressive, il surfe entre spoken words et cris gutturaux, s’époumone en chantant sur les achats compulsifs, le tout sur des nappes grinçantes et fuzzy que soutiennent de lourdes lignes de basse (jouées par une bassiste dont le visage rappelle d’ailleurs quelque chose à certains). Très dense et survolté, le set de Gavagaii se perd dans un maelstrom dont on ne sait pas trop s’il est improvisé ou calculé, mais qui ne manque pas de révéler une certaine maîtrise de la part du groupe quand il s’agit de monter en saturation et achever le tout en une dernière incursion épique.
Entre les deux, c’est l’occasion d’imprimer une dernière fois le souvenir de la grosse caisse floquée de BRNS, se rappeler ces concerts où on l’a déjà vue, et voir l’ensemble des visages du public se fendre d’un large sourire lorsqu’enfin montent sur scène pour la dernière fois à Paris les quatre musiciens.
C’est avec Void que BRNS entame sa dernière danse. Crissements de cordes et tintements de cymbales nous cueillent, alors que chacun somme son voisin de se taire : c’est trop organique pour se permettre de troubler l’instant. BRNS, c’est aussi et surtout des introductions de morceaux toutes plus mémorables les unes que les autres. Alors, quand Tim entame les premières lignes de Here Dead He Lies, on sourit, bien sûr, et nos voix rejoignent celle du batteur qui manie son instrument et le chant avec une coordination qui n’aura eu de cesse de fasciner.
La musique de BRNS n’a décidément pas d’homologue, particulièrement sur les morceaux de leur dernier album qui rendent à merveille sur scène et témoignent d’un certain accomplissement de la part du groupe. Avec Celluloïd Swamp, ils ont bouclé la boucle, parcouru l’ensemble du potentiel dont ils disposaient en s’aventurant sur des voies plus audacieuses sans forcer le trait, et Suffer ou Money donnent à voir Diego, le guitariste, au meilleur de sa forme.
C’est néanmoins pour les émotions fortes que véhiculent des titres de la trempe de My Head Is Into You que l’on chérit le plus le groupe, nostalgie oblige. C’est d’ailleurs à l’occasion de ce morceau que Tim ne peut plus dissimuler l’état de sa voix, mais ce soir-là, BRNS n’a plus rien à prouver, et si les refrains n’atteignent pas les sommets qu’on leur connait, chacun sait que ce n’est pas le talent qui manque, seulement quelques cordes vocales qu’un enchaînement de dates aura endommagées.
Si Tim est en peine avec sa voix, celle de Nele au clavier nous enchante toujours de sa douceur, quand celle d’Antoine, le bassiste, se charge des segments les plus pêchus du set et nous propulse dans la transe avec Inverted, titre qui conjugue tous les meilleurs atouts de BRNS en une odyssée psychédélique et touchante. Difficile d’atterrir après une telle traversée, mais personne n’entend redescendre, et surtout pas Lucie, la bassiste du groupe précédent, ancienne membre de BRNS (d’où le visage familier), qui rejoint le quatuor sur scène, tantôt pour sublimer la mélodie de Hurts de sa flûte traversière, tantôt pour seconder Diego à la guitare et tendre à la densité parfaite.
Le concert est bien entamé, mais le plus grisant reste à venir, et c’est là une autre des forces de BRNS : maintenir en haleine son public, au moyen d’un vivier de titres tous plus emblématiques les uns que les autres, et aucune des personnes qui se sont époumonées sur le refrain de Deathbed ne pourra dire le contraire. Get Something aurait ensuite bien pu signer la fin, tant chacun des membres du groupe donne de lui-même et conclut en apothéose un set à la composition irréprochable.
Mais un rappel sonne vite, car manque à l’appel Mexico qui relance une dernière fois les rouages du quatuor, avec Lucie de retour à la flûte. Chacun chante – crie – à l’unanimité n’être jamais allé au Mexique pour la toute dernière fois, dans la joie et la bonne humeur (peut-être pas celle de nos cordes vocales qui subiront le même sort que celles de Tim).
Finalement, c’est Our Lights qui clôture la soirée, tout comme il signait la fin du tout premier album du groupe. « Cause of the lights / She’s really up-tight » sont les dernières paroles que l’on aura chantées, de concert avec tous les membres du groupe, les lèvres pendues à leurs micros respectifs, la voix parfois chevrotante, certainement pas plus que la nôtre, ne cessant de chanter pour étendre à l’infini le moment, que jamais ne s’arrête le concert, que jamais ne cesse d’exister BRNS.
C’était une date spéciale. Il ne fallait pas qu’elle soit spectaculaire, il fallait qu’elle ait lieu, voilà tout. Il fallait pouvoir dire au revoir à un groupe qui, même s’il tire sa révérence, a gravé sa musique dans le cœur de nombreuses personnes qui ne sont pas près de mettre leurs disques au placard.
Merci pour tout BRNS, et bon vent.
Texte : Marion des Forts
Photos : Robert Gil