On se demande parfois si Yo La Tengo ne serait pas immortels, tant il semble avoir toujours été là, et ne faiblit jamais, pas plus que l’engouement autour de cet American Band accueilli avec ferveur à la Cigale hier soir.
Yo La Tengo est un groupe impressionnant. Toujours constitué des mêmes trois membres depuis les années 1980, à savoir Georgia Hubley à la batterie, Ira Kaplan à la guitare et James McNew à la basse, le trio américain affiche aujourd’hui au compteur seize albums studios, rien que ça. Plus impressionnant, la qualité y est toujours au rendez-vous, ou du moins, impossible de ne pas y trouver son compte dans une discographie qui flirte avec tout ce que la piste expérimentale peut offrir.
Pour ce retour plébiscité à Paris, le groupe est seul à l’affiche, et n’offre rien de moins que deux sets, entrecoupés d’une entracte. Ce ne sont certes pas les titres qui manquent pour combler un double set, mais l’enjeu reste de taille, quelle que soit la formation, pour maintenir l’attention et l’engouement plus de deux heures durant.
La formule adoptée est tout de même efficace : le trio se s’installe dans une atmosphère feutrée et doucereuse tout au long de la première moitié du concert, laissant agréablement se déployer le potentiel de leur dernier album, This Stupid World, dont les vagues mélancoliques et expérimentales rendent aussi bien que d’autres morceaux emblématiques. Le public d’ailleurs, accueille aussi chaleureusement les nouveaux que les anciens, et même sans connaître par cœur la discographie de Yo La Tengo, les arrangements et improvisations du trio sur cette première partie du set sonnent remarquablement bien.
La réputation des trois musiciens n’est plus à défendre. Forcément, à suivre une même ligne artistique, entouré des mêmes personnes, et quarante années durant, on en vient à une maîtrise parachevée de son art, et rien à redire là-dessus à un guitariste, un bassiste et une batteuse qui circulent régulièrement sur la scène entre clavier, micros et percussions. Si Kaplan assume une majeure partie du chant, chacun des musiciens prête sa voix, et les interventions de Hubley couvrent particulièrement l’ensemble d’une chaleur bienvenue.
Toujours implacables, basse et batterie incarnent les métronomes d’une danse psychédélique dont les guitares de Kaplan dessinent les courbes. Tout en conservant un registre nébuleux sur ce premier set, le trio n’hésite pas à faire subtilement grimper une tension sourde, tendant cordes et voix de longues minutes durant, prolongeant l’instant sur de vastes nappes riches en saturation lente et en larsens. De l’expérimentation bruitiste de Sinatra Drive Breakdown aux chœurs délicats de Miles Away, en passant par la tendresse de Black Flowers, Yo La Tengo déroule une impeccable première partie.
Après une quinzaine de minutes, le trio revient sur scène pour poursuivre leur longue performance. Cette fois-ci, tout en gardant la même dynamique ascensionnelle, le groupe monte le volume, prend de l’amplitude et négocie des pentes plus escarpées, changeant occasionnellement de positions pour doubler l’intensité d’Autumn Sweater. Les textures sont plus saturées, plus distordues et aussi habilement arrangées que sur la première partie du set. Kaplan impressionne, penché, presque possédé sur sa guitare, dans une quête permanente de nouvelles sonorités.
Dans le public, les têtes qui dodelinaient sagement au cours du premier set, se mettent à balancer plus franchement, et il faut avouer que les élucubrations psychédéliques de morceaux aussi symboliques que We’re an American Band ou Pass The Hatchet, I Think I’m Good dessinent de francs sourires sur le visage de nombreux fans du groupe. Bon, mais n’oublions pas que le public de Yo La Tengo n’est pas le plus punk qui soit, alors on irait pas se risquer à crowdsurfer à un de leur concert… sincères pensées donc, à celui qui a jugé bon de venir s’écraser dans la fosse de la Cigale sans une bonne âme pour le rattraper.
Malgré tout, les deux heures passées de concert commencent à se faire sentir, et s’ils reviennent après un rappel, on se demande s’il était vraiment nécessaire. Ils clôturent ce concert-fleuve sur quelques reprises qui ne sont pas ce que l’on retiendra le plus de la soirée, la faute, peut-être, à la fatigue prenant le pas après un double set très ambitieux.
Si le concert aurait gagné à être un peu raccourci et condensé, on peut mettre ça sur le compte de l’immortalité du groupe, face à laquelle nous, pauvres mortels sommes bien en peine à les suivre de bout en bout, sur une performance qui demeure néanmoins remarquable.
Texte : Marion des Forts
Photos : Robert Gil
Bonjour à vous. J’ai quelques petites remarques à faire sur votre compte rendu de ce concert auquel j’ai assisté : ce n’est pas 16 disques studios mais 17 que ce groupe a fait, entracte est masculin et non féminin, et à la fin il y a quand même eu une bonne reprise celle des Flamin’ Groovies « Slow death » (1972). Bonne lecture.