Soyons humbles, même si avons toujours aimé Natalie Merchant, nous n’attendions plus de sa part un retour aussi puissant que ce Keep Your Courage, un disque qui commence par nous séduire avant de littéralement nous pétrifier par sa splendeur.
Qui connait encore Natalie Merchant, l’une des plus belles voix du Rock US des années 80 ? Sans doute les nostalgiques de 10,000 Maniacs, son groupe d’indie rock qui connut le succès entre 1981 et 1992, et qui continua d’ailleurs sans elle quand elle embrassa une carrière solo… mais ils sont de toute manière peu nombreux ! Natalie connut aussi un joli petit succès commercial avec Tiggerlilly, son premier album sous son propre nom, en 1995, avant de peu à peu s’éloigner des « sunlights » de la (relative) célébrité. Et on en arrive en 2023, ou, après une presque décennie sans de véritablement nouvelles chansons, Natalie publie ce Keep Your Courage, qui la voit, alors que la soixantaine s’approche, réclamer la place qui lui est due au panthéon des grandes chanteuses folk / soul américaine…
Natalie, qui conduit, en parallèle avec sa carrière d’autrice-compositrice-chanteuse, un travail de poétesse et de peintre, est quelqu’un dont on connaît le souci de la perfection, ce qui, chez elle, ne signifie pas un isolement égocentré, mais au contraire une ouverture au monde : il s’agit bien, et c’est la démarche que traduit Keep Your Courage, de mettre au service de sa vision, de son Art, les meilleurs artistes, les meilleures collaborateurs possibles : la liste des participants à l’album est longue, contentons-nous de souligner la présence vocale de la chanteuse Abena Koomson-Davis sur les deux premiers titres, très soul, de l’album, Bad Girls et Come On, Aphrodite, qui constituent une introduction accueillante, presque « chic », pour un album qui va s’avérer en fait de plus en plus saisissant au fur et à mesure que l’on s’y plonge…
Si la pochette, figurant Jeanne d’Arc, est d’un goût discutable, elle fait écho au propos général du disque, qui est le courage qu’il faut aux femmes pour accéder à leurs rêves. Qui dit courage, dit aussi découragement, souffrance, tous ces sentiments négatifs qui surviennent inévitablement au long du chemin. Le but de ces nouvelles chansons est donc de conférer de la force à celles qui luttent, comme le chante Natalie dans The Feast of Saint Valentine qui clôt le disque : « In the deep and darkest night of your soul / When you curse and rue the day / That you did dare to give your heart away / Take courage in the thought that you belong / Good comrade, you’re not alone / We’re here to give you shelter from the storm » (Dans la nuit profonde et la plus sombre de ton âme / Quand tu maudis et regrettes le jour / Où tu as osé donner ton cœur / Prends courage en pensant que tu fais partie de nous / Ma camarade, tu n’es pas seule / Nous sommes là pour te mettre à l’abri de la tempête) ». Et le paradoxe troublant de l’album est que le luxe, voire la luxuriance des arrangements – vocaux sublimes, piano classique, orchestre à cordes, comme sur le majestueux et un tantinet emphatique Sister Tilly – sont la plupart du temps décalés par rapport à la tristesse qu’infusent les chansons. Oui, on en connaît beaucoup qui déplorent que les albums de Natalie Merchant soient uniformément tristes, et ceux-là seront déçus d’apprendre que c’est encore le cas de ce Keep Your Courage. Pire, encore, que c’est quand le disque touche le fond du désespoir que Natalie Merchant est la plus grande.
En fait, le disque bascule littéralement vers l’excellence dans sa seconde partie, le point de rupture étant le très celtique, élégiaque et superbement incantatoire Hunting the Wren – une reprise du groupe folk irlandais Lankum : une première merveille indiscutable, mais pas la seule. Car à partir de là, le disque atteint des hauteurs émotionnelles rares, même pour Natalie Merchant, qui font passer l’album de la catégorie « très beau et très plaisant à écouter » à « régulièrement saisissant ». La délicieuse et dansante Tower of Babel est ce qui, sur deux minutes et vingt secondes, ce qui s’approche le plus d’un tube soul-pop, mais ce sont le folk dépouillé de Guardian Angel (pas si loin des meilleurs titres d’Alela Diane) et le lyrisme bouleversant de The Feast of Saint Valentine qui nous pétrifient littéralement.
Si vous aimez la musique qui a le potentiel non seulement de changer votre humeur, mais peut-être bien de changer (un peu) votre vie, alors risquez vous dans ce Keep Your Courage : courage ! il n’y a que le premier pas qui coûte… ensuite, vous ne serez plus jamais seul(e).
Eric Debarnot
belles chroniques, qui font aimer le disque avant son écoute…qui déçoit rarement. bravo pour le talent d’écriture.
Merci ! C’est trop gentil… En tout cas, cet album m’a envoûté, malgré quelques titres plus ordinaires dans sa première partie… J’espère qu’il en sera de même pour toi.