« Emergence 7 », de Vincent Mondiot : Quand le titre d’un roman définit son propre phénomène

Par une démarche littéraire où l’image se place dans la narration, Vincent Mondiot s’allie avec Enora Saby pour nous propulser dans le récit mémoriel d’une apocalypse à hauteur d’enfants. Un long chemin attend le narrateur pour se libérer de ses souvenirs, et peut-être enfin, vivre libre.

Émergence-7
@ Enora Saby/ Éd. Actes Sud junior

Vincent Mondiot est l’auteur d’une œuvre diversifiée publiée à un rythme régulier. Des séries, de nombreuses nouvelles, un blog et des romans ayant été primés (Nightwork, Rattrapage, Les derniers des branleurs). Fan de manga, l’intégration de l’image à son œuvre atteint un nouveau point, une étape réflexive où le jeu avec les genres culmine, les deux arts trouvant une consubstantialité totale.

Emergence 7 s’ouvre sur Léon, personnage principal et narrateur revenant visiter l’île qu’il a dû quitter vingt ans plus tôt. Une île jamais nommée. Une île abritant un mémorial qu’il est invité à voir avant son ouverture au public, puisqu’il a eu l’effroyable privilège de vivre les événements à l’origine de cette initiative.

Lors de ce parcours de mémoire commencé sur le bateau le conduisant à l’île, il se souvient. Et nous raconte.
Le récit démarre au moment où, enfant, il rejoint comme chaque matin sa petite troupe d’amis composée des élèves attendant le bateau pour l’école située sur le continent. Il doit leur annoncer son déménagement prochain, loin de l’île. Tandis qu’il affronte seul ce dilemme, leur dire, renoncer à ses amis, à la BD qu’il écrit avec son meilleur ami…le monde se retourne sur eux.
Un titan surgit des mers et détruit tout sur son passage, basculant aussi soudainement Emergence 7 dans le survival. Le futur de Léon et de ses amis bascule avec, cristallisant son passé dans le traumatisme.
Ce voyage mémoriel, dont la force est accentuée par la narration subjective, est donc la dernière chance pour Léon de se libérer.

Le graphisme d’Enora Saby s’appuie sur des nappes de couleurs avec un instinct synesthésique. Si les détails fourmillent, c’est l’immersion dans le texte et la page qui priment. Les illustrations peignent une toile qui reconstitue les scènes avec une proposition forte : les textes et illustrations agissent sur deux plans temporels différents. La narration relate un passé, que la restitution des dialogues dynamise. C’est comme voir un souvenir en superposition sur le présent, dans un jeu de calque où vivre, se souvenir et revivre se battent la première place.

C’est l’épreuve que Léon vit en revenant sur l’île. Se démêler dans l’enchevêtrement de ces plans temporels qui l’empêche d’avancer. Nous assistons sidérés à la survenue du titan, rugissement de fureur totale pourtant dénué de cruauté (comme une arme de Final Fantasy 7 ou les insectes de Blue Gender). Elle se reproduit pour le héros qui doit affronter à nouveau cette épreuve par la mémoire, lui offrant aussi une chance de la dépasser.

Le livre est parsemé de souvenirs antérieurs au cataclysme qui construisent un passé comme autant de futures ruines, et offrent des parenthèses aux couleurs douces. Ces parenthèses rythment l’histoire autant qu’elles relancent la gravité du drame une fois fermées. Et les répits se raréfient à mesure que l’enfer se densifie.

Alors commence une quête de fond. Répondre à « Pourquoi », « Comment est-ce possible ?”

C’est ce moment où Emergence 7 devient un miroir tendu au monde, effrayant, car peu déformant. Retirons le monstre, pour le remplacer par arme nucléaire, bombardement, tsunami. Nul doute que les gorges se serrent face à ce spectacle où rien n’est épargné, où la cruauté de la situation est féroce dans ses détails.

Le monde est cru, la tendresse a déserté, plus rien ne peut les protéger.
« Dieu nous avait abandonnés mais il continuait à protéger ses biens immobiliers ». Cette phrase sur l’image d’une église qui a tenu alors que tout s’est effondré sonne à la fois comme une exclamation face à un scandale (des enfants qui meurent quand des pierres demeurent), et une question. Car nos héros veulent comprendre. Les enfants ne sont pas nihilistes. Ils le deviennent si le monde rate à leur offrir du sens.
Ce sens dont Léon adulte a tant besoin. Quand tout est détruit, chercher un sens a-t-il du sens ?
Ou doit-on se concentrer sur l’essentiel ? Puisque quand on a tout perdu, il ne reste “que” l’essentiel : la vie.

Ce qui ne peut s’acheter, se racheter. Ce qui ne peut que se perdre. Les seules choses qui vaillent dans notre expérience : vivre et aimer.

On sort de ce cataclysme en regardant par la fenêtre qu’ouvre la fiction : si tout s’effondrait, qu’est-ce qui aurait de l’importance ? A t’on besoin de tant perdre pour discerner ce qui compte ?

On ferme ce livre secoué. Ouvrir un livre et le refermer ne sont pas des gestes anodins. C’est entrer et progresser. Emergence 7 entre par la gauche : la mémoire va se dérouler. Et se termine à droite, personnages tournés vers la gauche, regardant ce passé révolu et résolu. L’arc de progression est complet, on ferme en équilibre au bord des pages, cette mince frontière entre la fiction et notre monde.

Un beau livre, un bel objet, que l’on pourra lire et relire, en jouant sur les profondeurs, les niveaux de lecture, mais surtout avec la conviction qu’il faut surveiller de près les sorties de Vincent Mondiot et lire ce qu’il a déjà écrit. Et qu’à tout moment, le monde peut basculer.

Florian Claude

Emergence 7
Roman de Vincent MONDIOT
Illustrattion Enora SABY
Editeur : Actes Sud Jeunesse
208 pages – 17.80€
Parution : Septembre 2022