Entre comédie romantique et thriller poétique, Monsieur Apothéoz, malgré une très bonne impression de départ, nous laisse quelque peu sur notre faim. C’est vraiment pas de chance !
Théo Apothéoz, comme son père et son grand-père avant lui, attire la poisse autour de lui. Quand un Apothéoz est dans les parages, la faucheuse n’est jamais loin… Théo, paralysé par cette malédiction familiale, a choisi de ne rien entreprendre, y compris dans des relations amoureuses. Il paraîtrait que cette poisse, elle a commencé le jour où Grand-papa a quitté son île pour venir travailler sur le continent. La solution au problème se trouverait-elle là-bas ?
Ce qui saute tout de suite aux yeux dans cet album, c’est indubitablement le graphisme, qui réunit tout ce que j’aime. Un trait semi-réaliste faussement imparfait, tout en ondulations et pourtant très maîtrisé, assorti d’une mise en couleurs aquarellée sublime, centrée autour d’une tonalité marron-orange avec quelques sections entre bleu gris et bleu de minuit (normal, il y a pas mal de scènes nocturnes). Dawid réussit à créer des ambiances vraiment splendides (notamment pour les paysages et les décors villageois ou urbains du livre) qu’on se surprend à mater pendant de longs instants. Cela n’est pas si étonnant car cet artiste, qui semble avoir gardé toute son âme d’enfant, a été le coloriste de plusieurs albums jeunesse, celui-ci étant son premier roman graphique.
Quant à l’histoire, on a plutôt affaire à une fable tragi-comique qui pour être appréciée, devra être lue sans rechercher une quelconque plausibilité des faits. Le thème, c’est la poisse, la vraie poisse de poissard poussée à l’extrême, la poisse comme un trou noir qui aspire tout ce qui transpire la vie, la poisse toutânkhamonesque transmise sur plusieurs générations. Le jeune Théo, représentant en chef de la dernière génération des Apothéoz, une famille faisant de sa scoumoune un feu d’artifice permanent, se résout avec une certaine résignation à jouer le rôle de chat noir, hésitant ainsi à déclarer sa flamme à celle qu’il aime. Ce qui nous interroge dans cette fable, c’est cette éternelle question : peut-on échapper à son destin ?
On oscille ici entre la comédie noire et la comédie romantique, qu’un drôle de twist très brutal auquel on a un peu de mal à croire, annihile le charme que pouvait recéler cette histoire jusque là. Même si comme je l’ai dit plus haut, on sait qu’il ne faut pas être à cheval sur le réalisme. La farce n’exclut pas la cohérence.
Globalement, on a cette fâcheuse impression d’être à la fois dans le trop et le pas assez, avec des personnages qui manquent de « corps », un curieux mélange des genres, une narration un peu trop élastique et une tension mal dosée, concourant pour finir à susciter l’indifférence du lecteur vis-à-vis du sort des protagonistes. Heureusement, la fin, qui réintègre une certaine dimension poétique, remet un peu l’ensemble à niveau. En conclusion, on ressort un poil frustré de cette lecture, qui avait pourtant du potentiel mais ne se distingue que par son superbe graphisme.
Laurent Proudhon