L’amitié masculine inspire : après la rupture évoquée avec brio dans Les Banshees d’Inisherin, Jean-Baptiste Durand explore à son tour ce thème fertile dans Chien de la casse, un premier film étonnant de maîtrise.
Rien, sur le papier, ne promettait en termes d’innovations : l’histoire de deux amis d’enfance perturbée par l’irruption d’une fille mettant à mal le duo, dans un âge déjà adulte mais où les incertitudes de l’adolescence demeurent, ne brille pas par son originalité. C’est pourtant sur ce canevas que le cinéaste va multiplier les réussites. La première consiste dans le cadre choisi, une France qu’on appelle désormais « des territoires », et qui d’emblée jure avec un titre qui semblait promettre les milieux violents et déclassés des friches industrielles. Ici, le vieux village du Sud aux pierres claires connecte à une temporalité qu’on ne voit que très peu, surtout lorsqu’il s’agit de parler d’une jeunesse qui, elle aussi, s’adonne aux petits trafics et à l’oisiveté contemporaine. Jean-Baptiste Durand accompagne ses personnages, donne la parole aux habitants (les échanges très tendres autour des tickets d’Astro), et montre, sans jamais s’appesantir, sur la volonté de redonner vie à des lieux progressivement désertés à travers le projet d’ouverture d’un restaurant.
C’est donc une sorte d’évidence qui règne ici, et que vont parfaitement prendre en charge les protagonistes, incarnés par les excellentissimes Raphaël Quenard, Anthony Bajon et Galatea Bellugi. Le naturel de la relation entre les deux amis passe par une spontanéité désarmante, où le caractère de Mirales écrase tout : entre humour et domination, citations et aphorismes vaguement pertinents, le personnage s’assure en permanence d’être le centre de l’attention, et de la docilité avec laquelle Dog le suivra, lui qui par son surnom même seconde son chien qui le suit partout, lui obéissant au doigt et à l’œil. L’écriture des dialogues, dont on se demande quelle est la part d’improvisation, ménage ainsi constamment plusieurs niveaux de lecture, visant autant à séduire qu’à interroger un spectateur qui passe du charme à l’inquiétude et l’empathie face à un protagoniste effacé, n’ayant que la violence la plus fruste pour catharsis, face à des inconnus qui lui en feront payer le prix.
C’est dans ces instants de vérité constants que Chien de la casse se distingue, d’autant qu’il ne s’agit nullement de construire des archétypes figés : Elsa, qui ne se révèle que très tard (très bonne idée que de différer la mention à son statut d’étudiante), aura ses propres manquements, de la même manière que le personnage de Mirales pourra révéler ses fragilités, dans son rapport à sa mère, l’absence d’écoute véritable de Dog dont il souffre, ou cette homosexualité latente qui ne sera, avec un tact très pertinent, jamais abordée de front.
Même si le récit sacrifie un peu au format du drame et de l’explosion cathartique sur son final, l’essentiel réside surtout dans cet épilogue et la manière dont ces individus légèrement cabossés tentent de prendre en main leur destinée. Il n’en faut donc pas plus pour réussir un premier film : planter un décor qui vibre, écrire de véritable personnage et les faire communiquer avec le spectateur. Encore faut-il avoir le talent pour donner vie à toutes ces intentions, ce dont l’équipe de Chien de la casse ne manque pas.
Sergent Pepper