marcel est l’un des jeunes groupes belges qui nous a le plus bluffés au cours des derniers mois : on avait entendu le buzz de l’autre côté de la frontière, vu des clips particulièrement décoiffants, et on a adoré le premier album. Il était temps de les rencontrer !
Benzine : D’où vous venez, marcel ? Comment êtes-vous apparus ?
Amaury : On est relativement neufs, on est apparus le 1er avril 2021 avec un premier EP de 4 titres, et tout ça avait été en grande partie composé avec la première mouture du groupe, c’est-à-dire le guitariste Maxime et moi-même, et enregistré à Bruxelles après plusieurs changements de line-up. Le cœur du groupe se trouve à Arlon, dans le sud de la Belgique, dans la province du Luxembourg. A Arlon, il y a une sorte de pépinière, qui s’appelle l’Entrepôt, où on a fait nos armes, d’abord en tant que public de toute sorte de musiques vénères, puis au sein de projets musicaux.
Benzine : Nous, du côté français, on a toujours été très impressionnés par la vitalité de la scène belge…
Amaury : Bah, quand des Français, et ils sont nombreux, nous disent ça, on se dit qu’il y a un truc entre les Français et le Rock, illustré par la fameuse phrase de Lennon (« le Rock français, c’est comme le vin anglais ») qui a meurtris les Français ! Pour moi, depuis Dutronc, les Rita Mitsouko, jusqu’à ces dix dernières années avec des labels comme Born Bad ou Teenage Ménopause, il y a toujours eu des trucs formidables en France. On a encore vu Unschooling et Psychotic Monks l’autre jour, c’est génial, vraiment original. Pour la Belgique, c’est plus du côté flamand qu’il y a des propositions hyper originales, qui nous pousse à être dans l’émulation, qui booste la qualité. Peut-être qu’ils sont plus près de l’Angleterre, et donc une plus grande compréhension de la culture anglophone, qu’il y a moins de barrière de la langue. En Wallonie, c’est plus épars, ce sont plus des épiphénomènes : mais aujourd’hui, du côté wallon, on essaie de se démarquer du Rock anglophone, pour proposer des choses décalées, inspirées du carnaval, du folklore, moins premier degré. Il faut trouver une sorte d’hybridation, entre injectant l’ADN de notre culture nationale…
Benzine : Bon, revenons à ce premier EP…
Amaury : On a eu d’excellents retours, en particulier de Daniel Aresta d’It It Anita, qui font partie cette excellente scène liégeoise. Le fait qu’il nous ait pris sous son aile nous a lancés, il nous a présenté à Luik, le label qu’ils ont fondé, et on a acquis une sorte de street cred. On a très vite voulu embrayer avec un album auto-produit, enregistré chez notre batteur qui est ingé son, dans une petite baraque des Ardennes pendant deux mois. A la cool, mais en voulant aller vite…
Benzine : Et vos influences ?
Amaury : On a vraiment tous dans le groupe des backgrounds différents, mais avec la volonté d’allier le noise punk avec les mouvements grunge et post-rock… Allier un engagement vocal satirique et théâtral avec des guitares, des accords hérités de Sonic Youth, de Radiohead, de Slint. Et le côté expérimental de la scène No Wave de New York.
Benzine : Et pourquoi « marcel » ?
Amaury : C’était un nom de travail au début, on s’en fout, on a choisi marcel… Mais peut-être y a-t-il eu une résurgence du nom de mon petit chat, qui s’appelait Marcel, et qui s’est fait tuer par le chien du voisin. L’une des seules grandes souffrances que j’ai eues dans la courte vie. Une vengeance contre ce chien qui avait voulu éradiquer la beauté du monde qu’il y avait dans ce chat…
Benzine : Comment est-ce que tu vois l’évolution du groupe ?
Amaury : Depuis plusieurs mois, on a produit des clips, ce qui nous a pris pas mal de temps puisqu’on faisait tout tous seuls. On va se poser la question de ce qu’on veut exprimer maintenant, il faudra voir. On a envie d’aller vers d’autres terrains, de rester sur le noise mais de métisser ça avec du free jazz, de la musique classique. On va pas venir avec un orchestre classique, mais pourquoi pas s’imprégner de quatuors à cordes de Bartok… En ce moment, il y a plein de groupes qui se départissent de la forme couplet-refrain, comme par exemple sur le dernier album de Psychotic Monks. C’est très inspirant, si on veut être vrai, exprimer et créer des choses singulières : marcel devrait sans doute s’ouvrir encore à d’autres styles. Il y a déjà eu des influences orientales, d’auto-tune, de psychédélisme dans le premier album, mais on devrait encore plus partir en vrille, être dans l’exploration de ce qui est possible, dans l’explosion. Je pense aussi, même si ça a déjà une dizaine d’années, à un groupe comme Swans est très inspirant entre minimalisme formel et maximalisme sonore. Il y a aussi un groupe de Brooklyn, Godcaster, qui fait se mélange de style du folk au psychédélisme, en passant par le noise. Mon ambition personnelle, mais qui devra être discutée avec les membres du groupe, c’est d’arriver à la liberté qu’on trouve sur un disque de Mingus, mais avec la violence punk, et le fun de Jacques Dutronc ! Par rapport aux Monks, très introspectifs, on a envie de susciter la joie, de faire le grand écart entre la violence et la joie. C’est un problème quand même : faut-il franchir le pas, et faire les marioles sur scène en étant tous déguisés ? C’est un équilibre compliqué, ne pas être des guignols ni des artistes torturés.
Benzine : Un groupe comme Crack Cloud est assez exemplaire en la matière…
Amaury : J’adore leur côté collectif, sans une figure de leader sur scène, une sorte d’abolition de la hiérarchie. Pain Olympics, leur album, qui se rapproche du prg rock, de l’opéra rock, mais mordant et satirique, c’est une bonne boussole…
Il y a quelque chose en tout cas grâce à Internet – même si j’ai une relation d’amour-haine par rapport à cette culture -, on a développé dans notre génération une sorte de culture panoramique, avec tout un tas de genres musicaux qui parlent à certaines zones de mon esprit, ce qui fait que je me dis que ça serait dommage de se limiter aux Sex Pistols et au Clash. D’ailleurs tout ce qu’on adorait, les Doors, PIL, le vrai post-punk quand le punk s’est mélangé avec l’indus, c’est le métissage… On a fait le tour du « rock pur », donc la voie de renouvellement la plus féconde, c’est de s’ouvrir aux musiques autres, venant d’autres régions du monde, Asie, Afrique, Amérique du Sud. Après, on peut toujours discuter du droit qu’on a nous, blancs au cul-terreux, on s’approprie des instruments, des sons qui ne sont pas de notre culture…
Benzine : Il ne faut pas être trop politiquement corrects, le fait que les Clash ont joué du reggae et du dub a été à l’époque un vrai coup de pouce à la découverte en Occident de ces musiques…
Amaury : … d’autant qu’on ne gagne pas d’argent en faisant ça, de toute manière !
Benzine : … malheureusement ! Bon, on attend avec impatience de vous voir sur scène le 19 mai à Paris, à l’International
Amaury : Sinon, on a aussi un festival tout près de Paris le 7 juillet, la Ferme électrique, à Tournon en Brie… On passe aussi à Strasbourg, Tours, Rouen, Amiens…
Benzine : C’est noté…
Entretien réalisé le 17 avril par Eric Debarnot