Après Shame et Food For Worms, la seconde platée de lombrics de 2023 nous vient de HMLTD. Sur The Worm, leur nouveau concept-album, un vers géant menace d’engloutir la Grande-Bretagne. C’est sans compter Henry Spychalski et ses preux cosmopolites, revêtus de leurs plus belles côtes de mailles, qui s’en vont pourfendre la bête.
Deux Anglais, deux Français et un Grec poussent la porte d’un local de répètes. Pour certains, c’est le début d’une blague douteuse. Chez HMLTD, c’est probablement juste un vendredi soir. Le groupe vit le jour en 2015 à Londres avec la fusion d’une paire de locaux (le chanteur Henry ‘Spychalski’ Chisolm et le guitariste James Donovan) et d’un doublon de Parisiens (le guitariste Duc Peterman et le bassiste Nico Mohnblatt). Le line-up sera par la suite complété par le claviériste Seth Evans et le batteur Achilleas Sarantaris, natif d’Athènes. L’EP Hate Music Last Time Delete (2018) fut un coup de cœur immédiat de votre serviteur l’année de sa sortie et les détonations de Proxy Love (comme si Duran Duran avaient sniffé du désherbant) ou Pictures of You (goth pop noctambule tubifiée par Justin Tranter) hissèrent presque instantanément HMLTD au rang de nouveau chouchou à bibi. Cependant, le groupe devait tout de même transformer l’essai via le test immémorial de l’album.
En 2020, West of Eden avait honnêtement rempli le contrat. Un premier LP dont l’éclectisme constituait à la fois la force et la limite, avec des vignettes bigarrées et barrées pour une écoute en forme de montagnes russes. Indus vénère sur Death Drive, synth-pop sur Mikey’s Song, post-punk au vitriol sur The West Is Dead ou post-glam plombé sur War Is Looming, le menu était varié et copieux. On avait même droit à Why?, single glitch-pop vocalisé par un logiciel de phonèmes japonais. L’ensemble n’était pas sans impairs occasionnels, comme le carambolage stylistique de 149 ou Loaded, single au léger goût de rengaine préfabriquée. Mais, après tout, deux titres dispensables sur une douzaine, n’est-ce pas un bilan plutôt optimal ? C’est assurément exact, mais l’inclusion de singles déjà anciens pouvait donner l’impression que le groupe rechignait à proposer un projet totalement neuf. Satan, Luella & I et To The Door remontaient à 2017, avant même la sortie du premier EP. Ces deux compos n’en étaient pas moins délectables, mais on aurait aimé voir l’aventurisme du quintette défricher des contrées complètement inconnues. Or, c’est précisément sur ce terrain que The Worm, première sortie depuis le départ de Donovan en 2022, semble avoir à cœur de prouver sa vaillance.
Une fois encore, HMLTD opèrent thématiquement. West of Eden portait un regard mi-alarmé mi-railleur sur la déliquescence de l’Occident capitaliste. Ici, le concept est celui d’une Angleterre post-apocalyptique en plein cauchemar néo-médiéval. Un vers géant menace d’avaler le pays comme une grosse tartine sur laquelle la population ferait figure de caviar grouillant. Un programme chargé, donc, qui commence avec Worm’s Dream. Une minute de chorale a cappella, égorgée par le larsen mortifère qui ouvre la voie au premier single. Wyrmlands donne dans un jazz rock siphonné du bulbe qui évoque immanquablement les récents faits d’armes de Black Midi. Malgré une sensation de modelage sur la concurrence, tout cela fait plutôt bien le café. En tant qu’enregistrement de studio, c’est bien troussé, mais les paris sont grands ouverts pour savoir comment la chose passera l’épreuve du live. L’instrumentation, malaxant claviers, saxophones, violons, chœurs et percussions, est si foisonnante que sa transposition sur les planches pourrait se révéler délicate, à plus forte raison pour un groupe réputé pour des prestations très frontalement post-punk. Embarquer une escouade de violoneux au fond du tour bus posera sans doute des contraintes logistiques et budgétaires. Peut-être vaudrait-il mieux réécrire les arrangements pour proposer une version différente sur scène ? Quelle que soit la stratégie des intéressés, le résultat rend curieux.
Ce n’est pas The End Is Now qui chassera cette perplexité. Les rythmiques sont à peine moins concassées, les chœurs demeurent gigantesques et les cordes s’infiltrent dans la moindre fissure des murailles. La dernière partie du titre débraie sur un glam décharné, comme la carcasse putrescente d’un opéra rock en pleine débandade. C’est osé mais c’est réussi. À l’inverse, Days tente un peu trop ouvertement de courtiser Radiohead et perd en substance. Comme à l’accoutumée avec HMLTD, la prise de risque engendre les résultats les plus stimulants. Saddest Worm Ever est quasiment ce que l’on aurait obtenu en braquant un flingue sur la tempe de She Wants Revenge pour les forcer à écrire un single de prog rock. Liverpool Street chevauche à l’assaut de Broadway, charriant une artillerie théâtrale où les cordes et le piano font respectivement office de baliste et de tour de siège. La chanson-titre The Worm prend le relai pour un improbable alliage symphonique entre harangue Queenesque et chain gang punk façon Bad Seeds. Le pire, dans tout ça ? C’est que ça fonctionne totalement, avec un refrain dont la grandiloquence est aussi assumée que contagieuse.
Quand on pensait avoir tout entendu, voilà que le surprisomètre clignote encore avec l’arrivée d’une chorale gospel qui gonfle le refrain de Past Life (Sinnerman’s Song) au moyen d’une bonne vieille coda de dimanche matin. Lorsque la messe prend fin, il ne reste qu’un monologue sur fond de berceuse iconoclaste. Le cordage mélodramatique est de retour sur Lay Me Down, tableau final qui débute sur une caisse claire martiale, avant d’enclencher des orgues et du piano pour garnir ses refrains aguicheurs. La guitare lead finale fait mine d’entamer un dithyrambe à la Brian May pour amorcer un nouveau virage en piqué, mais cet élan est coupé net. La grille d’accords exhale son dernier soupir et tout est fini. Le ressenti immédiat est très contrasté malgré les nombreux attraits perçus lors de l’écoute. Il n’est pas aisé de porter un verdict unidimensionnel et clairement tranché sur The Worm. Avec des parti-pris stylistiques aux antipodes de son prédécesseur et un concept aussi singulier qu’incongru, ce nouvel album a tout du virage à 180°. Le résultat entérine l’appétit du risque cher à HMLTD, sans pour autant permettre de réellement préciser les contours de leur son. The Worm obéit à une cohésion interne qui en fait un projet typé au son très marqué, mais qui se préoccupe de la continuité discographique comme d’un glaviot dans une coulée de lave. Une fois de plus, il nous faudra nous armer de patience pour espérer statuer plus précisément sur la trajectoire d’un groupe dont, pour le moment, nous ne pouvons que saluer l’audace de vision. HMLTD surprend tout en conservant notre curiosité. C’est déjà beaucoup.
Mattias Frances