Des (très) hauts avec Meule et des (relativement) bas avec Tamar Aphek pour cette Gonzaï Night stimulante à la Maro : en dépit d’une performance décevante de la guitariste israélienne, impossible de résister à la vitalité et à la créativité de toutes ces « nouvelles musiques ». Merci Gonzaï !
Programme copieux pour cette Gonzaï Night, malheureusement pauvrement planifiée en période de vacances scolaires et au milieu d’un week-end de trois jours : Meule, trio indéfinissable dont on parle beaucoup en ce moment, et la guitariste israélienne Tamar Aphek, qui a fait grosse impression, à ceux qui étaient là, en première partie des Black Angels il y a peu. Cerise sur le gâteau, la Nantaise Miët, à propos de laquelle nous avons des amis qui ne tarissent pas d’éloges…
Les portes de la Maroquinerie ayant ouvert exceptionnellement trente minutes plus tôt, c’est à 19h30 que Miët monte sur scène, armée de sa basse derrière un double pupitre qui lui permettra de construire les boucles efficaces de sa musique, et devant un hexagone de néons. Nous sommes moins d’une dizaine de personnes devant la scène au début de son set, ce qui est forcément désagréable pour l’artiste, mais, heureusement, la salle se remplira ensuite honnêtement, ou en tous cas assez pour que l’atmosphère se réchauffe. Et d’ailleurs, la quasi-totalité des gens présents étant très enthousiastes (à l’exception d’un impoli qui gâchera certains morceaux plus calmes en bavardant sans vergogne, on se demande ce que ces gens-là font dans un concert !), on espère que Miët s’est sentie soutenue par le public parisien. Car elle nous a offert 45 minutes d’un mélange difficilement étiquetable – et c’est tant mieux – de musique ambient, assez abstraite mais traversée de cris stridents, de rock noisy (gros jeu de basse !), et même, pour finir, de techno frénétique. Un ami nous a parlé de quelque chose entre Portishead et Klaus Schulze, c’est un début de description, mais c’était plus que ça… On a parfois peur pour les lèvres de Miët, qu’elle frotte sans ménagement sur le micro quand elle hurle ou psalmodie, mais on reste régulièrement ébahi devant la maîtrise dont elle fait preuve pour construire ses morceaux, complexes, toute seule sur scène. Et puis une mention spéciale à l’usage original et efficace de l’archet sur les cordes de basse ! Une artiste passionnante.
20h30 passées de quelques minutes : Meule, c’est une musique qui peut laisser froid quand on l’écoute calmement sur disque, mais sur scène, c’est une autre paire de manches : l’usage joliment immodéré de vieux synthés qui doivent dater de la préhistoire du genre, avec ces sons années 70-80 archétypaux, est englouti sur scène par les poussées de guitare psyché, et surtout par la magnifique furie des deux batteurs, placés face à face au centre, comme on voit ça de plus en plus fréquemment, en particulier chez des groupes psyché comme King Gizzard ou OhSees.
Le résultat : 45 minutes de pur bonheur, de transe quasi ininterrompue, avec, et c’est bien agréable ma foi, les oreilles qui saignent devant la double batterie. Le premier morceau est très, très impressionnant, assez proche quand même de ce que font King Gizzard, et décolle littéralement à la verticale au bout de cinq minutes frénétiques. La suite ira chercher d’autres styles musicaux, toujours accrocheurs, jusqu’à un final excessivement brutal – symboliquement, la bandoulière de la guitare se rompra sous la violence des coups portés ! On en connaît qui tordent le nez devant le spectacle d’un musicien penché sur un « plat de spaghetti » bidouillant ses boutons d’un air inspiré, mais avec Meule, ce statisme peu attrayant de la musique électronique est balayé par la furie organique des batteries ! Décidément, le rock français n’a plus rien à envier en 2023 au rock anglo-saxon !
21h35 : la salle s’est bien vidée pour accueillir la nouvelle sorcière de la guitare venue de Tel Aviv : entre ceux qui traînent encore dans le bar accueillant de la Maro, et ceux que Meule a définitivement contentés, nous sommes peu nombreux à accueillir Tamar Aphek, Or Dromi, son bassiste chevelu, expansif et jovial, et David Gorensteyn, son batteur au crâne rasé mais à la frappe dantesque. Ah oui, ce trio de base est désormais augmenté d’un quatrième musicien, qui va lui aussi « bidouiller » derrière une console, pour un résultat d’ailleurs un peu mineur au sein de l’énergie déployée par les autres musiciens. Nous sommes peu nombreux mais décidés à faire un bel accueil à Tamar, qui semble néanmoins contrariée ce soir, et se montrera finalement assez peu avenante tout au long de l’heure et dix minutes de son set.
Un set qui démarre par le terrassant Crossbow (également morceau d’ouverture du premier album, All Bets Are Off, de 2021) : le son de la superbe basse Rickenbacker est monstrueux, et, à la batterie, David est un tueur. La voix de Tamar peut évoquer, en moins puissant, en moins assuré aussi, le chant d’Anna Calvi, mais c’est, inévitablement quand elle attaque son premier solo à la Fender Jaguar, qu’on saisit la puissance volcanique de son jeu de guitare. Et qu’on comprend sa réputation : placés en face d’elle, nous échouerons à saisir la magie qui lui permet de tirer de son instrument des sons aussi monstrueux !
Après un trio de chansons tirées de l’album que nous connaissons, Tamar se lance dans des nouveaux morceaux, avec plusieurs moments très forts, comme Corridor ou Bring It Up, des brûlots furieux comme on n’en entend pas si souvent que ça ! Le problème vient assez clairement de chansons qui ne sont que moyennement convaincantes, comme le nouveau single, calme et électronique, Stories, qui ne fonctionne pas du tout sur scène, au moins pour le moment. On se met donc à osciller entre passages enthousiasmants, principalement quand Tamar fait tonner sa guitare, disons quelque part entre Hendrix et Neil Young, et moments d’ennui léger. On remarque d’ailleurs que, derrière nous, la salle se vide peu à peu.
A la différence du concert du Trianon, l’atmosphère entre les musiciens n’est pas optimale : quand Dromi commencera à nous réciter son couplet sur « Paris, ville de l’amour », Tamar l’interrompra d’un « Tu nous raconteras ça plus tard, dans deux ou trois morceaux ! » : ambiance !
Le rappel, prévu sur deux titres, sera raccourci à un seul (Show Me Your Pretty Side, plus rageur que sur l’album), mais se conclura heureusement par une autre partie de guitare dantesque et assourdissante, histoire de ne pas nous laisser sur une impression trop mitigée. Mais clairement, ce n’était pas la bonne soirée pour Tamar et sa bande : les aléas du live… Ce qui n’empêche pas qu’on attendra sereinement le nouvel album qui sortira bientôt…
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil