Antoine Vitkine et Christophe Girard sont courageux, ils ne ménagent pas le jeune et inquiétant prince héritier saoudien dans ce documentaire édifiant.
Cet album ne sortira pas en Arabie Saoudite, car il risque de déplaire au prince héritier. Or, il est déconseillé de contrarier Mohamed ben Salmane. Avouons que pour être documenté, le portrait est plutôt à charge.
Distinguons les faits historiques, donc inattaquables. Le prince associe un réel libéralisme ; il a supprimé la police religieuse et muselé les imams les plus rigoristes, autorisé les femmes à conduire et à travailler sans voile, entrepris la modernisation du pays en accueillant des capitaux étrangers, souhaité remettre la population au travail et attirer les touristes ; à une main de fer. Les opposants sont impitoyablement traqués. Les puissants ont été mis à l’amende, les autres ont été emprisonnés, voire exécutés. Sa cruauté a fini par effaroucher ses alliés occidentaux, pourtant objectivement complaisants. Que ne ferait-on pas pour des flots de pétrole et des contrats mirifiques ? Loin de s’amender, le tout puissant MBS a engagé un audacieux renversement d’alliance. Ne s’est-il pas récemment rapproché des autocrates chinois, russes et, plus surprenant encore, iraniens ?
Plus audacieux est la tentative de portrait psychologique. Les princes cultivent le secret, leurs familiers se taisent, parler les mettraient en danger. Les renseignements les concernant sont rares et donc sujets à caution. Antoine Vitkine décrit un enfant gâté, tout puissant et cruel. Dès son plus jeune âge, il aurait été élevé par son père pour être roi. Le pari était audacieux car, si l’Arabie Saoudite appartient à la famille Saoud, les princes sont nombreux. Le fondateur de la dynastie a laissé 53 fils, dont sept ont régné au bénéfice de l’âge. À la surprise générale, le dernier souverain a imposé l’un de ses propres cadets comme héritier, MBS avait seulement 32 ans.
Les 4000 princes se partagent une faramineuse rente pétrolière. Ils vivent dans un luxe insensé qui alimente toute sortes de rumeurs extravagantes. Vitkine nous introduit dans leur intimité. À leur école, nous apprenons que si l’argent ne fait pas le bonheur, il encourage l’oisiveté et autorise les rêves les plus fous. À leur décharge, l’anecdote est plaisante, les princes portent le « bisht », un simple et traditionnel manteau bédouin au galon doré, afin de rappeler que leurs grands-parents couraient le désert.
Le dessin rapide et fougueux de Christophe Girard est quelques fois imprécis. Ainsi, les différents chefs d’État ne sont pas toujours reconnaissables. Mais, son MBS est magnifiquement travaillé. Girard soigne son triste héros qui est, tour à tour, sournois, ironique ou menaçant. La séquence le montrant dansant le Gangnam Style au côté de Psy sur une des îles de l’archipel Maldives, qu’il avait privatisée pour son anniversaire, vous hantera longtemps.
Stéphane de Boysson
MBS, l’enfant terrible d’Arabie saoudite
Scénario : Antoine Vitkine
Dessins : Christophe Girard
Éditeur : Steinkis – Les Escales
128 pages – 20 €
Parution : 23 mars 2023
MBS, l’enfant terrible d’Arabie saoudite — Extrait :