En 1969 et en seulement quelques mois, les Pink Floyd livreront une très belle B.O. de film (More) et un album concept et expérimental étonnant. La Bande à Waters enterre définitivement la période Syd et sa Pop Psyché par la même occasion et s’aventure, à leurs risques et périls, sur les chemins périlleux de la musique expérimentale. Les Floyd ne convainquent pas vraiment, mais s’ouvrent une infinité de voies pour le futur. Imparfait mais essentiel.
Syd a tiré sa révérence. Il erre dorénavant d’asile psychiatrique en asile psychiatrique, de tentatives de retour en tentatives de retour. King et Jenner les deux producteurs/managers qui ont fait le choix de suivre l’ancien leader abandonnant à leur sort un groupe étêté sans grand espoir de survie, réussiront tant bien que mal à lui faire enregistrer un album (The Madcap Laughs) qui mettra près de deux ans à voir le jour. Après ce demi-succès et quelques vaines tentatives de retour dont il ne voulait même plus, Syd ne parviendra plus à redresser la barre de ce vaisseau sans capitaine qu’est devenu sa raison. Il s’enfermera dans sa folie pour ne plus jamais en sortir; et retournera tenter d’apaiser ses peurs, là où tout a commencé, là où ses rêves d’enfants, ses gnomes et ses chats lucifériens veilleront toujours sur lui: Cambridge.
L’expérience A Saucerful of Secrets malgré les nombreux problèmes lors de sa production et un accueil critique et public plus mitigé que le premier album aura permis aux autres personnalités du groupe de pouvoir s’exprimer et de prouver qu’ils sont plus que de simples exécutants. Deux têtes émergent de ce Floyd post-Syd, deux leaders encore timides. Deux hommes, deux artistes. Deux amis proches, fabriquant à la force du poignet ce neo-Pink Floyd où tout reste à créer, où les divergences artistiques et les chamailleries personnelles n’ont pas encore pris le pas sur l’intérêt collectif du groupe.
Roger Waters et Richard Wright se partagent désormais l’écriture, les compositions et le leadership du groupe.
C’est sur une bande-originale de film que le groupe très rapidement va s’exercer à la composition et reprendre le chemin des studios comme pour effacer le plus rapidement possible le traumatisme A Saucerful of Secret. Barbet Schroeder fait appel au groupe pour illustrer l’errance acidifiée de deux jeunes hippies perdus sur l’île d’Ibiza. La B-O de More sera composée et enregistrée en seulement 8 jours. Waters et – un peu – Wright seront une nouvelle fois les principaux artisans de ce très joli disque, mais en filigrane, derrière, discrètement, d’abord par le chant où sa voix parfois sucrée et mélodieuse vient caresser les petites douceurs Acid Folk de Waters (Green is the Colour, Cymbaline ou Crying Song) ou bien se fait hargneuse, grave et cassée sur quelques titres Hard Rock bien sentis (The Nile Song ou Ibiza Bar), c’est le petit nouveau David Gilmour qui vient assoir sa place dans le groupe. Le remplaçant de Syd, avec lequel il a commencé à s’entraîner musicalement dans leur chambre d’ado cambridgienne, n’est pas que bon chanteur. En effet, très discret sur A Saucerful…, David agrippe sa guitare et vient griffer d’une empreinte – que nous savons maintenant indélébile – cette bande-originale qui fût le premier album sans la figure tutélaire, patriarcale de Barrett.
À peine 4 mois après l’enregistrement de More, les Floyd retournent au boulot dans les studios londoniens d’EMI et veulent frapper un grand coup pour le premier album du groupe sans l’ombre gênante de Syd.
Un double-album ! Et un concept !
D’abord sur le premier disque ce sera un live. Car déjà les Pink Floyd sont un groupe de scène, ce sont leurs performances scéniques, la folie qui en émanait, la dangerosité de leur set et l’imprévisibilité du traitement – du maltraitement ? – de leurs chansons qui ont sorti le groupe de l’anonymat. C’est de ces concerts déroutants, de ces lives déconcertants qu’on extirpe la substantifique moelle de Pink Floyd. C’est un Floyd encore très Barretien qui s’étale en longues nappes planantes sur le premier disque de ce double-album. Astronomy Domine et A Saucerful of Secrets proviennent du concert donné le 27 avril 1969 au Mothers Club de Birmingham, tandis que Careful with That Axe, Eugene et Set the Controls for the Heart of the Sun ont été enregistrées le 2 mai 1969 au Manchester College of Commerce. Des titres déjà longs, que le groupe dilate à l’extrême offrant l’essence étrange d’un Floyd Sydien sans Syd. C’est encore ce Space Rock si particulier, ce Space Rock étirant ces morceaux aux thématiques flottantes, spatiales, à ces rites païens en musique. On susurre encore ces drôles de prières chamaniques incohérentes aux oreilles décontenancées d’un public en état de transe. La transformation reste encore incomplète.
C’est le deuxième disque qui achèvera cette métamorphose: Qui abandonnera ce Space Rock, rejeton étrange et tordu de ce Rock Psychédélique perdu dans les limbes d’une autre époque, pour laisser entrevoir, discrètement encore, par le trou de la serrure, les milliers de possibilités que pourrait offrir un Rock Progressif et expérimental alors naissant et plein de promesses.
Mais si le Rock Prog’ offre des possibilités presque infinies à ces musiciens-aventuriers, des territoires encore vierges sur l’immense planète Rock, des terres inexplorées dans la fusion de ces nombreux genres. Comme tout aventurier, c’est à la machette et pas à pas dans la luxuriante forêt sauvage qu’est ce Rock de la fin des années 60, qu’ils vont avancer. Puis faut dire qu’elle coupe cette machette, et qu’ils n’ont pas encore la dextérité voulue pour la manier avec précision, alors parfois on se taille les doigts ou pire on se trompe de chemin dans cet enfer vert.
Et effectivement les Floyd cassent leur boussole sur cet Ummagumma qui sonne comme le cri de ralliement d’une quelconque tribu primitive.
C’est une idée de Rick Wright. L’idée pour lui de faire de « la vraie musique » (sic). Car en effet le deuxième album de ce double sera divisé en quatre. Une moitié de face pour chacun, pour laisser libre cours à sa créativité, à son inspiration. Surement une façon pour les quatre amis d’explorer de nouvelles pistes. Si A Saucerful of Secrets avait permis – surtout à Roger – de laisser de côté cette Pop Psyché tellement Syd et d’explorer d’autres territoires dans ce Rock en mutation, il faut maintenant tirer un trait sur le passé. Syd n’est plus là. Il faut se réinventer, trouver sa propre voie. Il faut dire au monde que les Pink Floyd ont survécu et qu’ils ne sont pas prêt de lâcher le morceau.
Chaque membre créera donc sa propre oeuvre. Sans l’aide d’un membre du groupe. Une sorte de démocratie dictatoriale où la liberté de chacun serait obligatoire et ne souffrirait d’aucunes conditions (la notion de dictature restera d’ailleurs très présente dans le Floyd à venir -n’est-ce pas Roger ?-).
C’est Wright, l’instigateur du projet, qui se jette à l’eau le premier avec un opus entièrement instrumental intitulé Sysyphus. En employant le mythe de Sisyphe, Wright ne pouvait pas mieux tomber. On pourrait avec beaucoup d’imagination et un certain sens de l’interprétation être amené à penser que les quatre parties de l’oeuvre raconterait la légende se Sisyphe: Son bonheur, son châtiment et cette pierre mille fois montée au sommet de la montagne, et mille fois retombée de l’autre côté, ce travail éternellement recommencé et cette aliénation perpétuelle. Piano, Mellotron, orgue Hammond sont convoquées pour l’illustration du châtiment de Sisyphe. Les cymbales éclatent, les dissonances pleuvent pour évoquer cette maudite pierre qui tombe et retombe inlassablement. Malgré les nombreuses interprétations que l’on peut donner à l’oeuvre et sa volonté symphonique, Wright ne convainc pas. Le souffle épique de la mythologie Grecque s’avère n’être au final qu’un zéphyr juste bon à sécher la sempiternelle sueur au front du forçat Corinthien. Ce Sisyphe là ne nous emportera pas en haut de cette montagne maudite, on restera en bas, attendant blasé l’inévitable chute du rocher.
C’est ensuite à Roger Waters de jouer sa partie. Waters encore perdu dans l’Acid Folk de More – les deux albums se sont faits à quelques mois d’intervalles – nous offre dans sa première partie (Grantchester Meadows) une balade bucolique où petits oiseaux et clapotis viennent illustrer le souvenir de ce petit coin de verdure où les étudiants de Cambridge venaient se détendre. Déjà ! Déjà le souvenir, la puissance du souvenir, la remémoration d’un passé idéalisé – qui deviendra un thème très Floydien – s’imposent dans l’univers tourmenté Watersien. Pour l’instant la balade est jolie mais peine à emporter l’auditeur sur les rives du Cam entre Grantchester et Cambridge. La deuxième partie (Several Species of Small Furry Animals…) est un collage sonore où Waters rajoute cris, respirations étranges et langue inconnue – très proche en cela de l’âme d’un Piper… – mais ne dépasse jamais le stade du délire expérimental, pour l’instant encore vain.
C’est au petit nouveau, celui qui est en grand sur la pochette, de s’y coller. David Gilmour promène sa guitare d’expérimentations en expérimentations. D’abord acoustique, simple et nue sur une ligne Folk/Blues sur laquelle il ne manque pas de rajouter des effets sonores, des sonorités brutales, des déformations acoustiques encore trop en décalage avec la musicalité intrinsèque du morceau, l’équilibre n’est pas encore là. La deuxième partie se fait plus sombre, la guitare se compresse, le riff devient aliénant, se Sabbathise dangereusement. Il y a pourtant quelque chose qui se dégage de The Narrow Way, comme une évidence, un calcul enfantin. Une opération pourtant simple, une seule addition, l’addition des deux premières parties va finalement produire la superbe troisième partie. Le déséquilibre flagrant des deux premiers titres semblent se mêler pour créer cette troisième partie funambule, tout en justesse, entre acoustique et électrique, cette montée atmosphérique splendide qui ferait – pourquoi pas – de The Narrow Way l’ancêtre du futur Floyd. Gilmour vise juste offrant le travail le plus abouti de la partie studio d’Ummagumma, trouvant semble t-il dans cette jungle inextricable qu’est le Rock expérimental le sentier qui mènera au devenir glorieux de Pink Floyd.
La partie finale sera assurée par Nick Mason. Le Batteur du groupe développe dans The Grand Vizier’s Garden Party une suite incongrue d’ambiances sonores autour de la percussion. Mason rajoute cymbales, gongs, woodblocks et autres bizarreries percussive pour tenter de donner corps à cette drôle de fête. La lecture du morceau s’avère complexe et ne laisse que peu de place de par sa forme – la percussion – à une interprétation précise du propos de Mason. Seule Lindy Mason la femme de Nick apportera une douce harmonie avec sa flûte à bec qui ouvre et termine cette expérimentation peu concluante à mettre quand même à la décharge du batteur qui ne possède pas l’instrument le plus mélodique qui soit.
Le groupe désavouera l’album. “Ummagumma? What a disaster!” (« Ummagumma ? Quel désastre ! ») clamera Roger quelques années après sa sortie, tandis que Mason plus philosophe déplorait la solitude des musiciens durant le processus de création et expliquait que finalement « le Tout valait mieux que la somme des parties ». Album expérimental si il en est, complexe, abstrait, abscons, Ummagumma ne laisse pas indifférent. Il est le défouloir d’un trop plein de créativité, une sorte d’étrange compétition entre quatre amis, quatre musiciens. Quatre mineurs creusant la roche friable du Rock pour tenter d’en extraire de l’or. Mais pour l’instant, point d’or ! Les galeries sont faites, pas encore bien étayées, mais nos amis savent que le travail paie et que les sillons qu’ils ont tracés dans ce Rock en pleine effervescence ne resteront pas inutilisés. Ce travail ingrat ne sera pas perdu, l’or est à portée de main.
Continuez de creuser. Ça va payer !
Renaud ZBN
Bon avec tous ces mots j’en déduit que c’est mauvais pour vous. Pour ma part j’ai écouté cet album en boucle et sans avoir fumé ou pris d’autres substances et c’est un putin d’album. Mais c’était à sa sortie.
je me fais chier à répondre en plus. Aller vendre des frites.
je vois pas ou vous voyez écrit que c’est mauvais mon cher.
En plus je fais de très bonnes frites à la graisse de boeuf. Vous devriez m’en prendre une portion ça vous détendrez.
vous devriez écouter du rap ,et laissez tranquille ce que vous ne comprenez pas…
Votre connaissance musicale doit s’arrêter à mon ami Pierrot ( et encore).
quand on est honnête, on dit : » je n’aime pas… »
De là à être catégorique…..
Bref, même pour des frittes, j’ai des doutes sur votre compétence…
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Ai-je dis que cet album était mauvais ?
En quoi suis-je catégorique ? Ce n’est que mon analyse et elle n’engage que moi. désolé que celle-ci vous ait tant outrée.
et pour ce qui est des frites vous ne devriez pas, elles sont excellentes.
j aime les frites à la graisse de boeuf et Pink Floyd….
Je vous en sais gré.
@Postolle
Un peu de calme, s’il vous plait. En 2023, quand la première génération de rappeurs commerciaux a officiellement l’âge de trépasser paisiblement dans son lit, il n’est pas certain que les fans du genre ne pigent rien à la musique. De plus, je doute fortement que mon collègue soit à ranger dans cette dernière catégorie.
Que celui qui n’a jamais improvisé des frites et aimé le résultat me jette la bouteille Heinz la plus proche en pleine tête. Je ne riposterai pas, c’est promis. Enfin, pas immédiatement.
Les fans de Rap et moi-même vous remercions…
la partie live est « à mon avis » très bonne, c’est du rock live psyché plutôt percutant. Ca tient bien le coup encore aujourd’hui. La partie studio qui se veut « expérimentale » me semble quelque peu creuse et vaine, ça va nulle part.
Quant à « More », je le trouve un ton en dessous
Nous sommes d’accord. Sur presque tout. Je trouve l’Acid Folk de « More » de très bonne tenue.
Le disque studio a des lacunes c’est vrai mais franchement le live est l’un des meilleurs disques en public jamais sortis, d’une beauté, d’une intensité, d’une originalité et d’une maîtrise rarement égalée. Un moment de grâce cosmique, le zénith du rock psychédélique… Faut être un peu sérieux !
Le live est effectivement splendide