Plongée minutieuse mais trop longue dans la psyché de deux femmes tourmentées par leur passé, leurs secrets et leurs mensonges, Vue Mer bénéficie d’une belle écriture et d’une construction singulière.
Dans une petite île non loin de la côte méditerranéenne, deux femmes vivent dans une riche propriété dans un état de relatif abandon, mais avec une magnifique « Vue Mer ». L’une, Laurette, a 85 ans, mais derrière son âge, dissimule un tempérament de psychopathe et une santé physique de fer. Ainsi que pas mal de secrets, et pas le genre de secrets anodins que tout un chacun croit importants. L’autre, Magalie, sa locataire, une cinquantaine d’années, est venue se cacher sur cette île pour fuir on ne sait qui, on ne sait quoi. Elle-même ? Sur le continent, Robert, le fils de Laurette, chargé de trouver une autre locataire pour remplacer Lise, partie du jour au lendemain, rencontre une étrange séduisante blonde, Natacha, au comportement troublant…
Dans ce roman déroutant, à la structure inhabituelle puisqu’elle nous fait passer sans cesse entre les pensées des trois protagonistes (Laurette, Magalie et Robert), au risque d’ailleurs de nous épuiser, Luce Michel joue avec les codes du polar : il s’agit d’abord de nous dévoiler ce qui s’est passé dans la vie de Magalie, et les conséquences les plus récentes de sa fuite. Luce Michel étire le suspense sur la moitié du livre, nous offrant une introspection extrêmement détaillée de ses trois personnages, le mystère se teintant de descriptions psychologiques minutieuses. On peut avoir du mal à entrer dans la première centaine de page de Vue Mer, tant le jeu que Luce Michel joue avec nos nerfs, avec notre patience, tient parfois du supplice chinois. Mais on est progressivement pris dans la toile qu’elle tisse, dévoré par le besoin de savoir… jusqu’à le révélation des mystères de la vie de Magalie, derrière le tissu de mensonges qui l’a protégée.
On en est alors à mi-parcours de Vue Mer, seulement. La seconde partie du livre, à notre plus grande stupéfaction, relance un schéma similaire à la première, avec un renouvellement des protagonistes dans la tête desquels nous sommes : il s’agit cette fois de comprendre l’origine du comportement de Laurette… Inutile de dire qu’il y a de grande chance que le lecteur, comme nous, ne soit pas enchanté de ce « bis repetita » imposé par Luce Michel !
Heureusement, l’écriture de Luce Michel est très belle, son analyse de la psyché féminine pertinente, souvent très subtile, et même si Vue Mer est décidément trop long – il aurait certainement été possible de construire l’histoire en entremêlant les deux « enquêtes » et en les racontant en parallèle sur beaucoup moins de pages, avec plus d’impact -, sa lecture nous réserve pas mal de ces petits ravissements dus au talent de l’écrivaine.
Une lecture intelligente, qui peut même s’avérer addictive, mais à réserver plutôt aux lecteurs patients à la recherche de polars psychologiques originaux.
Eric Debarnot