Ajoutant 5 nouvelles chansons à un Regarde encore, un EP sorti en 2022, Olivier Triboulois nous offre un très bel album de musique électro et pop, un album qui sent bon la tradition pop française. Paroles et musiques lui permettent de créer de belles et riches ambiances – captivantes, émouvantes, angoissantes…
Qu’il y ait une tradition pop française, personne n’en doute ! Mais, comme pour une certaine liqueur de gentiane ou comme on le prête à Talleyrand, cela va mieux en le disant ! Alors disons-le et répétons-le à propos de l’album d’Olivier Triboulois, D’un ciel bleu. La tradition pop française qui a reçu ses lettres de noblesse avec les Alain Chamfort, Daniel Darc ou Etienne Daho (pour ne citer que quelques noms, évidemment) trouve là une de ses expressions récentes les plus belles. Dès les premières notes, on sent que le travail des maîtres a percolé, s’est répandu, a fait son œuvre. On sent que l’on tient avec Triboulois un de ces héritiers qui peut assurer la relève, qui est capable de reprendre le flambeau. En écoutant l’album une première fois, on hésite, on se demande à quoi tout cela nous fait penser, on le sait, on le sent et puis on arrête de se poser des questions pour se laisser porter et profiter de l’album. La musique de Triboulois ne demande rien à personne, et n’a besoin de personne pour exister. Dans une tradition, mais avec sa puissance et sa personnalité, sa tonalité et ses accents propres, son originalité.
Il y a la voix d’abord. Tendue, blanche, froide. Olivier Triboulois est à la limite, tout le temps, prêt à rompre, comme prêt à lâcher. Il chante comme s’il était essoufflé – mais pas dans un souffle, au contraire. Angoissé aussi, par l’urgence des situations, des histoires qu’il faut raconter parce que tout se délite, tout part en vrille. L’urgence à dire ces mots – qui sont ceux de Yan Kouton (en l’occurrence sur les cinq premiers morceaux de l’album, au moins). Olivier Triboulois réussit une fois de plus à magnifier les textes du poète breton. Les deux font en effet la paire, se connaissant bien pour avoir déjà collaboré sur deux projets – Projet YK/OT, en 2020, et Tracer, en 2021. La délicatesse désespérée qu’on trouvait sur certains des morceaux de ces deux disques se retrouve ici.
Et puis il y a la musique, cette électro subtile et raffinée qu’a composée Olivier Triboulois. Cette musique n’est ni froide, ni impersonnelle. Elle est ce qu’on peut faire de plus humain, humaniste, chaleureux avec des instruments artificiels. Le résultat ? La proximité avec le chanteur, avec les personnages, les personnes qui peuplent ces morceaux. Chaque morceau est à la fois un tableau, une vignette, un petit film (d’ailleurs Olivier Triboulois « bricole » comme il le dit lui-même des vidéos, mais les fait aussi réaliser par d’autres, comme Olivia HB. pour Regarde encore), une histoire… qui semble ne jamais se terminer. Il est d’ailleurs assez intéressant que chacune de ces chansons a l’air de ne pas être terminée, elle s’arrête alors qu’on s’attendrait à ce qu’elle continue encore un peu. La musique est suspendue.
Cette musique est la plupart du temps jouée dans des gammes assez graves pour alimenter l’inquiétude, voire l’angoisse qui vient des paroles. C’est le cas sur les deux premiers morceaux, À nouveau et Sur des cicatrices, probablement les meilleurs de l’album. En quelques minutes, Triboulois a dessiné des paysages dévastés et sombres. Les beats sont simples, mais parfaitement adaptés, quelques accords plaqués sur le refrain (À nouveau). Ou au contraire, des beats plus riches et foisonnants, déchirés par une guitare menaçante et une cloche grave (Sur des cicatrices). Il y a quelque chose d’irrespirable sur ces morceaux… qui semble disparaître avec le downtempo de Jamais ou de À n’en plus finir. Ce qui ne veut pas dire que le message est plus apaisé et détendu, bien au contraire. Mais un Triboulois cool est toujours faussement cool. La tension reste toujours présente. Après la détente, la musique redevient grave, par exemple avec Autels, mélange de beats complexes, de nappes aériennes et de chœurs éthérés. La musique d’Olivier Triboulois est comme ça, complexe, imbriquée, riche. Un vrai plaisir.
Alain Marciano