Avec leur Dictionnaire du Cinéma Britannique, Jean-François Baillon et N.T. Binh offrent un panorama exhaustif du cinéma produit au Royaume-Uni… et la réhabilitation d’une cinématographie longtemps sous-estimée en France.
Au Nord de la Manche, on a John Lennon : « Le rock français, c’est comme le vin anglais. ». Et au Sud, François Truffaut : « Dire que le cinéma anglais est mort serait excessif puisqu’aussi bien, il n’a jamais existé. Le film anglais actuel est incolore, inodore et sans saveur particulière. ». La différence, c’est qu’à l’époque où Lennon disait ça, le rock français c’était Johnny. Alors qu’au moment où Truffaut parlait le cinéma anglais avait engendré Lean et Powell / Pressburger. L’autre différence, c’est qu’il ne s’est pas trouvé de critique anglais pour reprendre les mots de Lennon : ils ont préféré ignorer le rock français. Alors qu’une palanquée de critiques marqués par les Cahiers continue à reprendre ce qu’avait écrit Truffaut comme parole d’Evangile. Pour cette raison, un dictionnaire du cinéma anglais dans la langue de Molière n’est pas loin d’être d’intérêt général.
Coécrit par un Professeur en études britanniques et études cinématographiques et audiovisuelles et un critique de Positif, ce dictionnaire synthétise les grandes lignes de force connues du cinéma anglais. Ses principales entrées concernent cinéastes/producteurs/acteurs/actrices, techniciens, compositeurs, scénaristes, films notables, grands studios et courants/thèmes marquants. Le choix du film notable peut concerner des œuvres réellement marquantes artistiquement que d’autres d’abord marquantes d’un point de vue pop culturel, quitte à ce que l’appréciation de la notule soit nuancée (The Wall, Trainspotting). Même si pas facile à lire pour le non-connaisseur, la description très technique du travail des chefs opérateurs est une singularité du bouquin. Le livre a aussi le mérite de mettre en lumière l’histoire de la censure qui n’a pas concerné que sexe et violence, mais aussi ponctuellement les films produits en URSS. Ou encore de ne pas oublier l’économique en donnant par exemple un historique des aides d’État au cinéma ou des lois protectionnistes. Dans les surprises en termes de point de vue sur les artistes et les oeuvres, le livre fait un lien culotté entre Lawrence d’Arabie et le travail de démythification de l’histoire et de construction d’anti-héros du Nouvel Hollywood. De même, une notule nuancée sur Michael Winner tente de ne pas réduire le cinéaste à son controversé Un Justicier dans la ville.
Pour le reste, le dictionnaire est complet sur l’attendu. Ou plutôt : sur la manière de délimiter un territoire de cinéma. Les Anglais qui trouvent la pleine mesure de leur génie à Hollywood (Hitchcock, Chaplin), les cinéastes et les acteurs/actrices s’expatriant avec succès à Hollywood (Schlesinger, Frears), le réalisme social, le fantastique britannique, la télévision (Loach, Russell, Warkins) et le vidéoclip (Glazer) comme lieux où de futurs cinéastes se font la main, les cinéastes étrangers qui font de grands films au Royaume Uni (Jules Dassin, Skolimowski, Polanski), le lien avec le rock anglais (les Beatles movies équivalents britons des Elvis movies, le projet La Vie de Brian sauvé financièrement par George Harrison), les icônes rock à la carrière d’acteur notable (Bowie), 007, la Hammer, la Folk Horror (The Wicker Man), la Nouvelle Vague anglaise, les bijoux de la comédie noire, les Monty Python, les polars seventies violents (La Loi du milieu), les esthètes des années 1980 (Parker, les frères Scott), le cinéma de prestige (Ivory, les productions Puttnam) de la même période, les expérimentateurs (Roeg, Greenaway, Jarman)… Pas mal pour un cinéma qui n’a jamais existé, même si je ne suis pas forcément client de tout ceci.
Un livre à lire en se rappelant qu’on perd toujours à vouloir minorer le cinéma anglais. La Nouvelle Vague britannique a certes été artistiquement moins notable que sa consœur française, mais elle fut un réservoir de pochettes de disques pour le groupe phare du rock anglais des années 1980 (les Smiths) tandis que les Arctic Monkeys piquèrent à un dialogue de Samedi soir et dimanche matin le titre de leur premier album. Le minorer, c’est surtout oublier l’influence de Lean sur Spielberg ou de Roeg sur Lynch. Ou que rayon cinégénie de la vengeance La Loi du milieu n’a rien à envier à tel revenge movie culte venu des Etats Unis, d’Italie, du Japon ou de Corée du Sud.
Ordell Robbie