Adaptation du Faux-semblants de David Cronenberg en mini-série, Dead ringers ne laisse en l’état qu’un sentiment de déception et d’inutilité, et de manière plus générale d’agacement face à cette frénésie actuelle de remakes, en séries moribondes, de films cultes (ou moins cultes) des années 80/90 dont on se serait volontiers passée.
Alors oui, évidemment, on pourra s’interroger : faire un remake (oser faire un remake) de Faux-semblants en une mini-série de six épisodes, c’est quoi l’intérêt ? À la rigueur il eût fallu (ré)adapter le roman de Bari Wood et Jack Geasland à l’origine du film, et non pas directement le chef-d’œuvre de David Cronenberg. Et c’est là sans doute la principale erreur de Dead ringers, celle de platement se réapproprier les figures esthétiques (et les plus emblématiques) de Faux-semblants (les blouses rouges, le design froid et élégant, l’horreur viscérale distillée à petites doses…) plutôt que de créer, d’imposer son propre style. Et parce qu’ici tout fait déjà vu, ressemblera à tant d’autres séries contemporaines (éclairages sous-exposés, temporalité parfois inutilement triturée, pseudo radicalité en mode petit malin…). Et parce qu’ici tout manquera cruellement de singularité, d’un malaise profond qui, chez Cronenberg, finissait par nous terrasser.
Et ce n’est pas la permutation de genre (on passe de jumeaux à jumelles, mais en gardant les mêmes prénoms) ni la relecture féministe de l’histoire (on va y revenir) ni l’interprétation habitée (mais pas transcendante) de Rachel Weisz qui vont changer la donne. Si la trame narrative principale a bien été conservée (la symbiose parfaite, trop parfaite, entre des jumeaux/jumelles, aux caractères dissemblables mais complémentaires, est soudain mise à mal quand l’un(e) tombe amoureux(se) d’une actrice et cherche à s’émanciper de l’autre), c’est tout ce qui va autour qui s’offre une mise à jour hyper ancrée dans notre époque.
Cronenberg, en 1988, parlait de « femmes mutantes », les rendant même « interchangeables » et mystérieuses aux yeux des frères Mantle (séducteurs à la limite de la goujaterie), et faisait de Claire Niveau et de son anormalité (elle possède un utérus à trois cols) les éléments-parasites venant déranger, puis finalement annihiler, l’écosystème bifide des Mantle. Dead ringers, sous l’égide d’Alice Birch, coscénariste de la série Normal people, se concentre elle sur les questions liées à l’accouchement, à la grossesse et à la maternité, replaçant les femmes au cœur d’un récit (les hommes, eux, en sont quasiment absents) dont les thèmes interrogent avant tout la reprise de contrôle, intime et sociale, de leur corps.
Certes, vouloir se débarrasser de l’héritage cronenbergien en changeant de perspective de genre (mais en en conservant quelques connexions, et proposant même quelques clins d’œil qui pourront divertir les fans de Cronenberg) était sans doute la meilleure chose à faire. Mais, autre erreur, plutôt que de s’intéresser à la relation étrange des deux sœurs qui soudain va se bouleverser (le rôle, pourtant essentiel, de l’actrice dans l’altération de cette relation, au demeurant très mal écrit, est ici réduit à plus grand-chose), la série s’attache à davantage digresser sur les réalités et les évolutions technologiques de la gynécologie (et son passé peu glorieux) et sur la mécanique ultra-capitaliste faisant d’abord de la santé un outil de rentabilité (on évoque ainsi la crise des opioïdes et la famille Sackler).
C’est un choix scénaristique assumé, après tout, mais pas forcément l’un des plus judicieux, et la série traîne souvent en longueur (et puis que dire de ce twist final indigent et vain ?) en privilégiant ses préoccupations féministes, scientifiques et éthiques (jusqu’où aller dans le transhumanisme ?) pas toujours bien développées (et surtout redondantes) au détriment de l’exploration d’une gémellité en pleine crise identitaire et disjonction physique. Ni l’égale de Faux-semblants dans son trouble subtil et son pouvoir de fascination (encore intact aujourd’hui), ni totalement aboutie en tant qu’œuvre à part entière, Dead ringers ne laisse en l’état qu’un sentiment de déception et d’inutilité, et de manière plus générale d’agacement face à cette frénésie actuelle de remakes, en séries moribondes, de films cultes (ou moins cultes) des années 80/90 dont on se serait volontiers passée.
Michaël Pigé