Avec Tsunami, Marc Dugain nous propose un « Mage du Kremlin » à la française. Nous sommes dans la tête d’un président, allié des GAFAM, faisant face aux défis climatique, géopolitique et à une France très énervée… en sus d’une vie privée compliquée. Accablant ou réjouissant ? À lire en tout cas !
Il est dommage qu’Albin Michel ne nous ait pas gratifié d’un avertissement « Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite ou involontaire… », nous aurions rigolé un peu. Marc Dugain dans le formidable Tsunami, son dernier roman de politique fiction(?), nous met dans la tête d’un président français qui a décidé d’écrire la chronique (plus que ses mémoires) de sa gouvernance et de sa vie privée. Nous nous devons d’ajouter un détail très important, sa volonté de ne pas la publier : D’où une franchise dans le propos tout à fait réjouissante, sans filtre, d’un cynisme absolu et comme il l’écrit lui-même : « Je sais parfaitement mentir, mais je ne veux pas le faire ici parce que je veux pouvoir continuer à me laisser aller aux exigences de ma charge, qui m’oblige à composer avec la vérité. ». Plus loin encore et toujours à propos du biais actuel vis-à-vis de la vérité et de la réalité : « Orwell croyait à la vérité. C’est ce qui rend 1984 obsolète. La vérité a perdu sa nécessité, la réalité devient secondaire et les maîtres des illusions dominent le monde. ».
Le sel du livre tient aussi au fait qu’il ait été écrit courant 2022 donc avant la contestation populaire liée à la réforme des retraites…mais tout est déjà dans Tsunami ainsi page 40 : « On va avoir tout le monde dans la rue et probablement pas de majorité au parlement, annonce-t-il d’un ton dramatique. Je parie même que des députés de notre majorité vont s’y opposer pour se protéger de la vindicte populaire. » Marc Dugain fait œuvre de prescience et sa lucidité sur le monde qui nous entoure nous ravit (ou nous angoisse au choix). Nous nous sentons ainsi moins seuls quant à notre pessimisme vis-à-vis de nos gouvernants et de la main mise digitale des GAFAM.
Tsunami nous fait suivre ce jeune Président qui a été élu depuis 5 mois sur la base de sa réussite professionnelle : il a fait fortune dans une start-up qui a trouvé un procédé qui permet de « rajeunir nos cellules d’environ trente pour cent »… Ce qui ne manquera pas d’entrainer une augmentation des vieux dans le pays et donc un problème de financement des retraites, il n’est pas utile que je m’appesantisse sur le sujet.
Le Président a évidemment, comme sa fonction l’impose, des réformes à mettre en œuvre dans les plus brefs délais…l’une concerne le combat contre le changement climatique, je ne la dévoilerai pas mais cela mécontente une grande partie de la population tout en ravissant les GAFAM et comme le lui dit un de ses conseillers : « Mais tu es d’accord qu’en sortant le numérique de l’environnement, on trompe l’opinion ? ». Ce à quoi l’autre rétorque : « Nous n’avons pas le choix ! Sans le numérique, je ne serais pas au pouvoir, c’est la vérité. ».
Vous ne serez sans doute pas surpris d’apprendre que notre jeune Président réalise, lors de cette crise et alors qu’il va à la rencontre de la population, « à quel point il connaissait mal son propre pays quand il a entamé cette tournée fastidieuse de grandes villes en bourgades moyennes et en villages de campagne où les mentalités sont figées à une époque indéterminée. » et qu’il n’est pas sans constater que « Les grands enjeux du siècle paraissent bien loin des préoccupations quotidiennes de tous ces gens. Elles tournent autour de leur boulot, de leurs primes, de la scolarité chaotique de leurs gosses. ».
Le Président ou du moins Marc Dugain décrit sans complaisance l’aréopage présidentielle, personne n’en réchappe…juste pour le plaisir la description du secrétaire général : « Il n’a ni sexualité ni affectivité, travaille dix-huit heures sur vingt-quatre, semble considérer que les sentiments sont une corruption de la pensée. ».
Le portrait chinois de ce président emprunte pour une grosse part à Macron mais n’oublie pas Hollande et Sarkozy notamment sur les aspects privés de leur vie, la femme d’Alexandre (il n’a pas de nom) est journaliste et leur couple bat de l’aile…
Au-delà de la critique en creux de notre système présidentiel, de son autisme et de ses à cotés très orientés « business », les quarante-quatre chapitres nerveux de Tsunami nous permettent de suivre plusieurs intrigues, affaires, enjeux politiques, géopolitiques – tout à fait réalistes – qui se terminent et convergent en apothéose avec un vrai méchant comme on les aime !
Gageons et espérons que ce livre ait autant de succès que Le Mage du Kremlin, car après tout – et toute proportion gardée – il est toujours plus facile de se scandaliser de ce qui se passe dans les autocraties plutôt que de s’inquiéter des dérives inquiétantes de nos démocraties sous influence des GAFAM, des pouvoirs financiers et aux mains de gouvernants cyniques. Marc Dugain avec Tsunami a de mon point de vue écrit un roman que les générations futures ne manqueront de lire comme nous lisons les romans naturalistes de Zola ou Balzac qui décrivaient les travers de leurs contemporains. Intrinsèquement, le cynisme, l’ambition et l’intérêt personnel des gens qui nous gouvernent n’ont guère changé depuis le XIXe mais les outils qu’ils ont à disposition aujourd’hui pour surveiller, contrôler, nuire à son prochain sont plus efficaces, d’où une inquiétude compréhensible des citoyens (et sans tomber dans le complotisme !), c’est un peu ce que nous raconte Tsunami de Marc Dugain. Bravo !
Éric ATTIC