Roman graphique autobiographique du journaliste d’investigation pakistanais Taha Siddiqui, Dissident Club est à la fois une mine d’informations précieuses pour comprendre mieux la situation pakistanaise, et une jolie chronique de la vie d’un enfant, puis d’un adolescent qui choisira de parler face à la répression militaire de son pays.
Taha, fils d’un couple pakistanais, est élevé à Djeddah, en Arabie Saoudite, et est confronté dès son plus jeune âge à la rigueur de la religion : sans réellement prendre conscience de l’absurdité du monde dans lequel il vit, il souffre de plus en plus dans sa vie quotidienne de la radicalisation de ses parents, qui le prive non seulement des jeux de son âge, mais également de l’éducation « normale » à laquelle il aspire. Rentré au Pakistan avec sa famille, Taha va connaître une adolescence plus libre, dans un pays où derrière les contraintes officielles de la religion, de nombreux petits arrangements sont possibles. Mais le Pakistan est également un pays dominé par la tyrannie de l’armée, et qui va s’enfoncer peu à peu dans une multitude de problèmes politiques, externes (avec ces rapports complexes que le pays entretient avec les USA, mais aussi avec les groupes terroristes agissant en Afghanistan et en Inde) comme internes (l’opposition entre l’armée et le clan Butho…). Et cette haute volatilité politique va inspirer à Taha le goût d’une carrière de journaliste politique, en particulier grâce à une rencontre inopinée avec deux journalistes français. Une carrière brillante qui va lui attirer la haine de l’armée, et le mettre en danger, lui et sa famille…
S’ouvrant sur une tentative d’assassinat contre lui, Dissident Club est construit comme un flashback, où les souvenirs de l’enfance, puis de l’adolescence de Taha Siddiqui aident à comprendre son parcours, sa trajectoire personnelle et professionnelle. Bien que Dissident Club n’ait pas grand-chose de drôle, la comparaison avec l’Arabe du Futur de Sattouf vient très vite à l’esprit, même si la révolte du petit Riad contre son père n’a pas vraiment d’équivalent dans la vie de Taha, qui cherchera toujours à concilier son respect et son amour pour son père, de plus en plus « intégriste », avec ses aspirations à un monde plus libre, plus juste…
Sous-titré « Chronique d’un journaliste pakistanais exilé en France », Dissident Club est une formidable leçon d’histoire sur un pays que nous ne connaissons pas bien. Si tout le monde se souvient du terrible attentat du 8 mai 2002 qui tua 11 ingénieurs français à Karachi, l’assaut mené par l’armée contre la « mosquée rouge d’Islamabad en 2007, qui fit plus d’une centaine de morts, n’a pas autant marqué les esprits… Mais c’est aussi une réflexion passionnante sur la construction d’une personnalité libre, audacieuse, au milieu d’un environnement particulièrement défavorable, voire hostile.
Le dessin de Hubert Maury, pas forcément révolutionnaire en soi, propose la juste mesure entre le réalisme qui s’impose sur un tel sujet, et une stylisation graphique rendant la lecture dynamique et plaisante. Le choix d’une mise en couleurs dans les ocres / orangés / bruns fonctionne parfaitement. Ce qui est plus important sans doute, c’est que Maury est lui-même, avant tout, un analyste politique, ayant vécu au Pakistan et passionné par cette partie du monde.
Dissident Club, au-delà d’être une lecture passionnante, un véritable « page turner » comme s’il s’agit d’un thriller, nourrira aussi les réflexions de chacun sur le chaos du monde, et la difficulté d’y vivre selon ses principes : débarquant en France après avoir fui leur pays, la famille de Tahar est hébergée chez une collaboratrice de Charlie Hebdo, menacé de mort par l’EI… Comment donc échapper à cette tyrannie de la peur, à la violence dirigée en permanence contre ceux qui n’acceptent pas de se taire ?
Eric Debarnot