La Paris La Défense Arena n’est pas le lieu de région parisienne le plus approprié pour un concert. Cela n’a pas empêché le Boss et son E Street Band d’être à la hauteur de leur réputation de machine de guerre scénique imparable.
Il y a des détails qui sont le signe d’un concert réussi. Dans le cas de cette première date des deux concerts à guichets fermés de Springsteen et son E Street Band à la Paris La Défense Arena, le Boss fit ainsi comme à l’habitude les essuie-glaces sur le devant de la scène pour aller saluer le public. J’ai pensé pareil lorsque Max Weinberg s’est livré à ce qui est souvent en concert la pire démonstration d’épate technique (cf. le Gainsbourg des derniers concerts et le Polnareff actuel) : le solo de batterie, moment que Weinberg réussit à rendre digeste.
Comme prévu le Boss est venu, a joué et a vaincu (par KO le public). Il n’avait pourtant pas sorti tout de suite ses meilleures cartouches, commençant par un titre mineur de Born in the USA (No Surrender). Ghosts, tiré de Letter to you, fait partie de ces morceaux semblant avoir été écrits pour mettre le feu aux poudres en live. Mais Springsteen a à mes yeux fait mieux ces vingt dernières années dans le genre (Radio Nowhere ?). Le tir est immédiatement rectifié lorsqu’il dégaine Prove it all night, un des plus romantiques titres du chef d’œuvre Darkness on the edge of town. Morceau dont le solo saturé rappelle que comme guitariste le Boss n’a rien à envier à d’autres mythes rock auxquels le terme Guitar Hero est plus facilement associé. Parmi les titres récurrents des setlists springsteeniennes, Out in the street permettra comme d’habitude au Boss et à ses musiciens de faire les pitres pour le plus grand plaisir de l’assistance.
The Promised Land, Johnny 99 version électrique, She’s the one, Because the night, la paire Badlands/Thunder Road achevant la première partie du concert sont (entre autres) de ces morceaux mille fois joués… mais pas de quoi s’en plaindre lorsqu’ils sont toujours interprétés avec cette conviction, cette implication émotionnelle-là. Présente dans son dernier album de reprises de classiques soul, Nightshift verra le Boss mettre la main sur le cœur à l’évocation de Marvin Gaye et souligner qu’il est sans doute un des plus grands White Soulmen. Last Man Standing est lui précédé d’un discours sous-titré rendant hommage au décédé George Thesis, qui était avec le Boss le seul membre encore en vie du groupe sixties The Castiles, groupe qui permit au Boss de se faire la main live. Le morceau, selon moi un des meilleurs titres de Letter to you, est ensuite interprété en version acoustique.
Deux morceaux de The Wild, the Innocent & The E Street Shuffle, le jazzy Kittys’ Back et The E Street Shuffle, sont l’occasion pour les musiciens du groupe, en particulier les cuivres, d’avoir leur petit moment pour briller en solo. En forme de cousin des ambiances urbaines du cinéma américain des années 1970, un Backstreets épique rappellera que l’on ne gagne pas toujours à rêver d’imiter ceux qui nous fascinent sur un grand écran. Mais le clou parmi les clous de la partie pré-rappels du concert fut Candy’s Room, morceau phare de Darkness on the edge of town en remontrant rayon sensualité explosive à Prince et aux Stones à leur meilleur. Je déplorerai ceci dit une chose : l’abandon de la coutume de prendre dans le public un carton avec le nom d’une chanson pour l’interpréter. Il semble d’ailleurs que l’actuelle tournée ne comporte que très peu de variations de setlist, au regret de certains fans.
Le Boss a donc jusqu’ici électrisé la Paris La Défense Arena sans avoir joué ses plus gros tubes. Ce qui raconte en creux quel performer est le natif du New Jersey. Dans la série de rappels, le morceau qui transforma le Boss en mégastar et le fit passer à tort pour un valet de Reagan (Born in the USA) est suivi de celui qui permit au Boss de prendre au King la couronne de rocker national américain (Born to run). A Bobby Jean succéderont pendant Glory Days les pitreries autour de la question de savoir si le groupe a envie ou pas de jouer les prolongations live ce soir-là. Autre coutume abandonnée : aucune spectatrice ne montera danser sur scène pendant Dancing in the dark. A la place, le Boss ôtant ses premiers boutons de chemise. Tenth Avenue Freeze out et ses parties de guitare à la Steve Cropper seront l’occasion de rendre hommage sur l’écran aux décédés du E Street Band (Clarence Clemmons, Danny Federici). Quant à I’ll see you in my dreams en conclusion, que ça ne soit pas un morceau de Letter to you dont je sois client ne comptait pas. Seul comptait l’achèvement dans le calme acoustique d’un concert volcanique. Et si certains rituels live springsteeniens sont absents le feu sacré scénique est bien toujours là.
Texte : Ordell Robbie
Photos : HRV Bouche, Gilles Gautier