Le garage punk mène à tout si l’on veut bien en sortir : c’est la démonstration brillante que font DALTON avec leur second album, Soleil Orange. Des textes – en français – très réussis sur un rock-pop-new wave qui se souvient aussi du meilleur post-punk, de Wire à Parquet Courts, et le résultat est un régal.
Un peu d’histoire s’avère nécessaire : les Daltons, puisqu’à l’origine c’était le nom du groupe (et oui, comme chez Lucky Luke), c’est un groupe qui existe, avec quand même un hiatus de plus de dix ans, depuis les années 80. Un groupe parisien plutôt garage / punk, bruyant, bien de son époque (de naissance…), mais aussi un groupe qui aura attendu une trentaine d’années avant de pouvoir sortir un premier album, en 2016, ironiquement intitulé Objet Ancien. Mais avec le départ en 2020 du guitariste originel, s’est posé la question de la poursuite des activités, alors qu’il ne restait de la joyeuse bande des débuts plus que Patrick Williams, au chant et à la guitare.
Après avoir cogité, le désormais trio a choisi de repartir dans une direction différente, et de changer son nom en DALTON, moins référencé BD et années 70-80. Soleil Orange est le résultat des nouveaux choix musicaux du groupe, et autant le dire tout de suite, c’est un album réussi, à la fois classique – on y retrouve un son assez typique du rock français, un son « ligne claire » dirons-nous, avec des guitares tranchantes, avec juste ce qu’il faut de claviers et d’électronique, et même un léger goût pour le groove et les rythmes dansant (au sens traditionnel des… « boums » d’antan…). Et avec un peu de sucre pop pour venir alléger la tension rock, par instants.
Comme les paroles sont (alléluia !) en français, la référence Daniel Darc / Taxi Girl ne paraît pas ridicule, et ce d’autant que le « chant » parlé de Williams évoque autant le grand Daniel que la tradition Gainsbourg. Et les textes sont une vraie réussite, l’un des « plus » de l’album. Chaque chanson a l’allure d’une saynète indépendante, conjuguant une simplicité accrocheuse et une étonnante profondeur, parfois même vaguement malaisante. On commence de manière très légère, avec Pull Sans Manche (« J’ai commencé à t’aimer mardi / C’était après la fête de samedi / J’ai pensé à toi tout dimanche / T’avais laissé chez moi ton pull sans manche »), on n’hésite pas à convoquer l’angoisse existentielle derrière la banalité du quotidien (« Sur la route tu voulais marcher jusqu’au prochain tournant / Tu disais « je suis sûr qu’il y a là quelque chose de plus grand » / Je riais : Que veux-tu qu’on y trouve ? Ton enfance ou un troupeau d’éléphants ? / Y’a des heures qu’on avance / Tu sais bien que ce sera décevant » sur l’excellent Non John ou encore « A la Station Total / Tout est tranquille et calme / A quatre pattes sur le macadam / Nous recherchons notre âme » dans Station Total). Avec un goût pour l’humour bizarre, vaguement dérangeant quand il le faut, qui évoquera parfois celui de Katerine : « Dans ce pays étrange / Et ils ont tous des bras / Et des buildings immenses / Avec leurs bras, ils prennent, ils prennent leurs femmes / dans leurs bras / Avec leurs bras, ils coupent, ils coupent du bois / Avec leurs bouches, ils parlent, ils adorent ça » (sur l’énervé 160). Quant à ceux qui affirmeront – on en connaît – que le rock en français nécessite des textes un peu plus consistants que ceux de DALTON, rappelons-leur qu’ils chantaient il y a peu, et à tue-tête, même, Chaise Longue de Wet Leg, sans se poser de questions…
Avec la basse très en avant et la guitare qui cisaille des riffs tantôt nerveux, tantôt funky, la musique de Soleil Orange reste en permanence fidèle aux origines rock du groupe, et l’intensité monte progressivement au fil des morceaux, les connotations pop / new wave des premiers titres laissant place à une énergie plus noire – Wire étant une référence déclarée de DALTON. Si Cours de Poterie rappelle un peu moments les plus ludiques de Starshooter, le Jerk en Sanglots (quel titre !) pourrait figurer sans honte sur un album de Parquet Courts : soit un grand écart réussi entre un passé glorieux et un présent qui l’est encore plus.
Et si, avec DALTON, nous tenions enfin un vrai grand groupe de rock de 2023 qui chante en français ?
Eric Debarnot