Defamator est une superbe réussite : des mélodies imparables, des accompagnements intelligents et racés. Des chansons douces, chantées d’une voix presque indifférente, mais qui sont vraiment noires et hérissées d’épines. Une intensité incroyable, l’air de ne pas y toucher. Pas un seul mauvais morceau pour ce premier album.
« I’m fucked up » (Bloodline), « I was alone when we first met / Nowhere to go nowhere to land / I was a child he was a man / Hope to god we’ll never meet again » (God is Dead), « He tells me I’m pretty / But he doesn’t kiss me / Unless the door’s closed », « I think I hate you / I never wanted you / You took everything from me » (Defamator), « You think it’s funny / But I don’t laugh », « It was my birthday / You made me cry / You never blamed yourself you never asked why… did you » (New Jersey), « Gave you all that I had / Loving you hurts so bad / Can I have one last dance » (The Last Dance)…
Voilà une partie de ce que nous offre Chloe Gallardo sur cet excellent Defamator. Sacrée mise à nu… On imagine très bien, pour porter ce désespoir, des morceaux d’une noirceur extrême, qui nous feraient frissonner en nous arrachant des larmes (à la Nick Cave, par exemple). Oui et non. Désespéré et noir, Defamator l’est. Mais pas de cette façon. La noirceur n’est pas telle qu’on peut l’imaginer au moment où on pose cet album sur la platine. Comment ça ?
Oui, Chloe Gallardo n’a pas la voix baignée de larmes et torturée par la détresse. Elle chante avec une simplicité et une absence de pathos qui sont tout autant séduisants que désarmants. Chloe Gallardo ne change que très rarement de ton, ne monte ni ne descend beaucoup dans les aigus ou les graves. Une égale, étale comme la mer à marée basse, uniforme, presque plate – ce qui ne veut pas certainement dire qu’elle chante mal ou que sa voix est sans intérêt, bien au contraire ! Comme si, confrontée à cette misère, elle feignait l’indifférence. On l’imagine, chanter en donnant des coups de pieds à des cailloux, en pensant à autre chose. Dire ce qu’on a sur le cœur et qui nous trouble l’âme, mais sans se laisser emporter, dévorer par les sentiments. Ne jamais se départit d’une certaine distance par rapport à ce qu’on doit raconter. Ce qui a pour effet d’accentuer le choc de la violence des mots et de nous rapprocher d’elle. Immédiatement, on est pris par une sensation de proximité avec les morceaux et avec celle qui les chantent. Oui, l’air de rien. la voix de Chloe Gallardo fait des miracles.
Comme sa musique, d’ailleurs. Ce qui marque d’abord, à l’image du chant, c’est une certaine douceur, voire légèreté. Les arrangements peuvent être assez subtils et raffinés, mais forment comme un cocon de sérénité autour des mots. Décidément, ce que ces chansons sont belles, apaisantes, sereines. Des arpèges de guitare, des notes de piano, des effets de batterie discrets… Prenez un morceau comme God is Dead, sans le sens des paroles, on dirait une histoire d’amour romantique et belle. Ou New Jersey… Il n’y a pas un seul des morceaux de cet album qui ne respire, au moins en apparence, cette sérénité. C’est beau, émouvant. Mais dans une espèce de détachement et de distance… Chloe Gallardo compose de la musique et des mélodies (superbes, les mélodies) qui la tiennent à distance des mots qu’elle chante. Presque. Elle sait aussi mettre dans ses morceaux, de vraies épines. Il n’y a pas non plus un seul des morceaux de l’album qui y échappe. C’est le côté shoegaze, probablement, qu’elle revendique. Accords de guitares électriques qui viennent rappeler qu’on n’est pas dans un univers rose et si cool que ça… « I’m running in circles / My body still feels so cold » (The Last Dance).
Pas une seule fausse note sur cet album. Pas une seule faiblesse. Tout est réussi. Tous les morceaux sont fascinants, pris individuellement et pris collectivement. Impossible d’en faire ressortir un plutôt qu’un autre. L’album est fascinant. Envoûtant. Une réussite incroyable.
Alain Marciano