La sixième édition de la soirée « Verte Est La Nuit », organisée sous la bénédiction de la Chartreuse, a été l’occasion de (re)découvrir de nouvelles têtes prometteuses.
D’un bout à l’autre de Paris se jouaient lundi deux soirées sous l’étendard du rock, l’une célébrait son ancienneté avec Bruce Springsteen à la Défense Arena, l’autre, à la Maroquinerie, soulignait son éternel et bienheureux renouveau.
Il y a un plaisir certain à découvrir un groupe pour la première fois en live. Vous n’avez pas d’attentes et vous pouvez, au pire trouver ça mauvais, au mieux prendre une sacrée claque. La particularité avec Fat Dog, c’est qu’on ne peut pas, à l’heure actuelle, le découvrir autrement que sur scène. Aucun EP, aucun single, rien, si ce n’est un compte Instagram à la bio somme toute aguicheuse : « music to grow ur hairline back to » [De la musique pour faire repousser vos cheveux]. On ne sait donc pas grand-chose de Fat Dog, si ce n’est qu’il a assuré la première partie de Viagra Boys et qu’il suscite un vif intérêt outre-Manche.
La sirène tonitruante qui précède l’arrivée du groupe sur scène donne le ton. Cinq musiciens prennent possession des lieux, le batteur paré d’un masque de chien en tête de fil. Fat Dog ne prend pas de détour, et s’engage rapidement dans un imbroglio de sonorités brutes, sèches et écorchées. Le guitariste ponctue son jeu d’un chant froid, typique du flegme du post-punk, mais on ne voudrait pas emprisonner Fat Dog dans ce carcan un peu trop étroit pour un groupe qui emprunte autant au rock qu’à la techno. La couleur de leur set est indubitablement donnée par un saxophone qui accompagne régulièrement les descentes de guitare délirantes du frontman, le tout rappelant parfois Squid. Ayant largement écumé les pubs anglais, le groupe n’éprouve aucune difficulté à gagner à sa cause un public qui n’est pas le sien. Il s’épanouit sur scène, surfe sur des fréquences enivrantes, tout en laissant aux synthétiseurs le soin d’intensifier la fièvre dans laquelle il se jette.
La seconde partie du concert se passe dans la fosse. Du moins, les yeux sont rivés sur le chanteur qui y déambule à son aise, poussant dans ses retranchements le fil de son micro. Son énergie survoltée gagne le public, si bien qu’il ne remonte pas sur scène avant un (très) long moment, laissant à ses comparses le soin de prolonger infiniment la transe dans laquelle ils se sont lancés. Le bassiste n’y tient pas, et finit par se jeter corps et âme au milieu de la fosse. Après une danse déjantée au milieu du public, les deux finissent par remonter sur scène, le concert touche à sa fin, le fil du micro n’aura pas tenu le voyage, mais il en valait la peine. Fat Dog est un ovni qui s’attrape au vol, une expérience fugace mais intense. Après ce soir-là, on ne sait finalement toujours pas vraiment qui sont ces Anglais délurés, mais c’est peut-être aussi bien comme ça.
Vient ensuite Taste, powerduo constitué de Yan Wagner (synthétiseurs/guitare) et Alexandre Berly alias La Mverte (basse), tous deux accompagnés d’un guitariste et d’un batteur. En studio, le duo s’est montré excellent sur un premier EP en tirant le meilleur de leur maitrise de la musique électronique pour l’associer à une formule plus rock, mais qui ne s’embarrasse pas pour autant de codes prédéfinis. En bref, on a face à nous de véritables musiciens et multi-instrumentistes de talent, dont la collaboration semble tomber sous le sens. Restait à savoir si leur musique saurait transpirer en live avec tout le potentiel dont elle dispose.
L’insolence à l’anglaise de Fat Dog laisse donc place à la classe des quatre membres de Taste. Insérée quelque part entre les années 70 et 80, leur musique navigue entre new wave, krautrock et psych rock avec aisance. Les boucles synthétiques sont intelligentes, la voix de Yan Wagner travaillée, les guitares acérées et la basse de La Mverte incisive… mais c’est déjà là ce qu’on peut concéder à leur EP, et si les morceaux ne manquent pas de qualités, il leur fait défaut ce soir-là de l’étincelle propre à l’interprétation en live. Les yeux fermés, la tête oscillante, la transe est douce, presque trop. Le projet de Taste est nourri d’un paradoxe qui ravit autant qu’il peut décevoir : celui de l’impeccable propreté de l’interprétation pour une musique qui côtoie tant de sonorités différentes, aussi affûtées que tapageuses, et qui aurait gagné à exploser avec plus d’éclat ce soir-là. Néanmoins, Yan Wagner sur scène ne manque pas d’humour, si bien qu’on se prend rapidement de sympathie pour lui, et pour des titres comme Shame Game ou Bang Bang.
Finalement, le seul nom qui nous était réellement familier sur le programme de cette soirée était celui de la bande rouennaise d’Unschooling. Aiguisant ses lames depuis à peine quatre années, le groupe évolue aujourd’hui avec cinq membres issus de différentes formations normandes, MNNQNS notamment, mais ça, ce n’est pas si essentiel à savoir, quand les membres d’Unschooling semblent surtout se qualifier par l’éthique du DIY. C’est un groupe prometteur, en évolution permanente et en perpétuelle conquête de la juste discordance. Bénéficiant de la tête d’affiche, les cinq musiciens ont aussi le privilège ce soir-là d’avoir une Maroquinerie bien remplie, et largement investie par de fervents disciples du groupe.
Leurs nombreuses guitares promettent un déluge. C’est armé, entre autres, d’une basse six cordes et d’une guitare qui en compte douze qu’Unschooling entame un set bien ficelé. De la mélodie pop aux bruyantes nuées sonores, il surfe sur une mer agitée aux rythmiques volontairement bancales. Oscillant entre stridence et saturation, les cinq musiciens ne baissent jamais l’intensité de leur jeu, et le public témoigne en retour d’autant d’énergie sur l’efficace NYE ou le délicieux désordre de Hold Me, ne manquant pas d’offrir aux yeux de la bande rouennaise des pogos à répétition. On ne sait finalement plus qui regarder, qui de Marc Lebruit et ses guitares aux mille et une cordes (parfois, de douze il passe à huit) ou de Thomas Idesheim, son sourire et ses frappes obstinées à la batterie. Une telle musique à la densité difficilement quantifiable se savoure promptement, le groupe semble l’avoir compris. Il ne traîne pas, invite à tendre l’oreille et rester curieux jusqu’au dernier morceau.
Unschooling marque des points à chaque nouveau passage sur scène en maitrisant et singularisant chaque fois un peu mieux cette intrépidité qui caractérise leur jeu. Pour une bande de déscolarisés, ils n’ont rien à envier à personne, et c’est en voyant ce genre de groupe que l’on peut affirmer que oui, le rock en France va bien.
Texte : Marion des Forts
Photos : Robert Gil