Pour son retour à une forme de thriller plus conventionnel, autour de la traque d’un serial killer, Olivier Norek frappe une nouvelle fois très fort, en prenant son lecteur à contre-pied. Encore une réussite…
Soyons objectifs : si nous considérons Olivier Norek comme ce que la littérature policière française a de meilleur en 2023, ce n’est pas à cause de sa – très remarquée – trilogie des enquêtes du capitaine Coste dans le 9-3 (Code 93, Territoires, Surtension) basée sur l’expérience de Norek dans la police, et récompensée par de nombreux prix. Non, Norek nous a convaincu avant tout qu’il était un auteur, un vrai, et à suivre, avec son intense Entre Deux Mondes qui nous projetait dans l’enfer de la migration. Et plus tard, en 2020, avec Impact, livre polémique s’il en est, qui interrogeait – et ne condamnait pas – l’usage de la violence comme arme pour faire avancer la cause de la défense de la planète. Deux livres marquants, sortant franchement de l’ordinaire de thrillers de plus en plus stéréotypés.
Ce n’est donc pas de gaîté de cœur que nous découvrons la réapparition de Coste dans ce Dans les Brumes de Capelans, signalant que nous aurions affaire cette fois, à un thriller bien plus classique… Heureusement, Norek a plus d’un tour dans son sac, et va nous surprendre une nouvelle fois, même dans le cadre plus conventionnel d’un affrontement entre le capitaine Coste avec un redoutable serial killer, kidnappant de très jeunes filles pour les violer et les étrangler. Il y a d’abord la localisation géographique sur un territoire français très « exotique », l’Ile de Saint-Pierre, située entre Terre-Neuve et le Groenland, et engloutie à une certaine période de l’année par des brumes presque surnaturelles tant elles sont épaisses.
Car ce que Dans les Brumes de Capelans raconte, c’est avant tout l’odyssée de la première victime du monstre, séquestrée et soumise à ses pires désirs durant dix années terribles, qui l’auront modelée avec une cruauté impensable. Et la manière dont sa relation avec Coste pourrait la ramener à un semblant, sinon d’équilibre, mais au moins d’humanité. Sans même mentionner le fait que Coste lui-même, dévasté par ses ultimes expériences en tant qu’enquêteur qui lui auront tant coûté, trouverait peut-être bien là une chance de reprendre pied. « Peut-être » étant évidemment le mot-clé, car chez Norek, on le sait, le pire est toujours possible, sinon certain…
Et ce que l’on aime chez Norek, c’est qu’à la différence de la plupart des auteurs populaires français de thriller (et ce depuis l’émergence de Grangé comme chef de file de nouveaux polars ultra-violents, ultra-glauques), il ne sacrifie à la délectation de l’horreur, de la violence, du mal. Norek nous raconte encore et encore la vie de gens « ordinaires » emportés par des circonstances terribles, et qui tentent de survivre, ou au moins de résister. C’est ce qui rend ses livres aussi marquants, parfois aussi bouleversants.
Mais, cela ne signifie pas que Dans les Brumes de Capelans soit uniquement un livre… « psychologique », un autre genre tellement français. Non, c’est bien un thriller, situé dans un cadre singulier et dépeint de manière réaliste (Norek a effectué un séjour de reconnaissance à Saint Pierre pour bien en restituer la singularité). Un thriller avec une montée en puissance remarquable, et un épilogue terrible qui terrassera plus d’un lecteur. Terrible, mais logique, et non pas fruit d’une volonté de jouer le twist à tout prix. Car, en refermant ce nouveau livre terrible du véritable tragédien « classique » qu’est Norek, on se répète qu’il n’y a rien de plus inévitable que le malheur.
Eric Debarnot