Un roman de fin du monde, une dystopie naturaliste et féministe dans lequel un groupe de femmes survit aux marges de la société en s’étant (quasiment) émancipées des hommes. Un roman plein, organique, vivant, touffu.
Ce roman est sorti en 2007 (traduit en 2021 en français et réédité en poche en 2023). C’est le troisième qu’a publié Sarah Hall, et il marque véritablement le début de son succès en tant qu’écrivaine. Deux prix, avant plein d’autres, trop nombreux pour être listés. Sans compter des comparaisons particulièrement flatteuses (Raymond Carver ou Alice Munro). Bref, une grande de la littérature anglaise… L’Angleterre justement où se situe ce roman.
Nous sommes quelque part dans le futur, la situation a complètement déraillé : les gens vivent dans des villes (les campagnes ont été désertées et vidées), entassés dans des espaces minuscules, en ne mangeant plus rien de naturel, avec des coupures d’électricité… Et, évidemment, la société est contrôlée par une sorte de dictature. Masculine, cela va aussi sans dire. Ce qui implique, entre autres choses désagréables, que ce sont les hommes qui contrôlent la reproduction. Les femmes sont obligées de porter un stérilet. Elles ne choisissent donc pas (plus) quand elles pourront avoir des enfants. Le futur, dans toute sa splendeur noire et macabre ! tel qu’on se le représente dans les fictions de fin du monde les moins optimistes. Et c’est dans ce futur que vit Sœur (nous ne saurons pas son prénom) et son mari. Sœur, qui en marre que les hommes lui disent ce qu’elle doit faire ; qui ne supporte pas qu’on lui ait posé un stérilet ; qui ne supporte pas que son mari — avec lequel elle s’est mariée presque par défaut — soit devenu si complaisant avec les gouvernants. Sœur ne supporte plus tout ça aussi parce qu’elle a un but, un horizon qui lui permet de rêver: une femme perdue dans la campagne, loin de tout, loin des villes, une ferme habitées par des femmes uniquement qui résistent. Sœur en rêve depuis des lustres, de cet endroit, de la ferme de Carhullan, de Jackie Nixon, cette leader maxima qui a réussi à créer quelque chose d’autre, une alternative belle et pacifique. Alors, elle part, elle s’enfuit pour réaliser son rêve.
Sœurs dans la guerre se déroule essentiellement après le départ de Sœur pour Carhullan. Quelques pages nous permettent de comprendre la situation, puis il y a la fuite et le voyage (à pied, évidemment, et en se cachant) et la rencontre avec Jackie et les autres femmes qui vivent à la ferme. La vie est dure, les journées de travail sont intenses, il fait un froid assez glacial en hiver et les conditions de vie sont élémentaires, simples, sobres pour tout dire. Une sobriété heureuse (rappelons que le roman a été publié pour la première fois en 2005). Les montagnes et les paysages sont superbes. Les soirées passées à discuter ou à chanter donnent du sens à la vie et à la communauté. Justement, on travaille en équipe, pour le collectif et pour un objectif que personne ne vous impose (il n’y a pas de chef ni de cheffe à Carhullan, même si Jackie Nixon est la grande figure qui règne sur l’endroit). Vivre à Carhullan, c’est vivre sobrement, mais pleinement. C’est se réaliser, comme femme mais aussi, plus simplement et plus exactement, en tant qu’être humain. Vivre en paix, avec soi et avec les autres. Vivre à Carhullan, c’est aussi (re)découvrir l’amour et les sentiments. Y compris les sentiments ambigus qu’elle éprouve pour son modèle, Jackie, cette femme si forte, si complète, si unique qui la fascine complètement, qu’elle admire totalement. Une vie dure, mais apaisée. Jusqu’au jour où Jackie les entraîne effectivement dans… Même si le titre ne laisse pas beaucoup de doute, laissons malgré tout un peu de suspense !
Sœurs dans la guerre est une dystopie, une histoire de fin du monde, une histoire d’amour et de sentiments. C’est une défense du féminisme – même si ces rebelles de Carhullan n’ont pas du tout coupé tous les ponts avec les hommes, certaines d’entre elles ont même un mari, des enfants qui vivent tout près en dehors de la communauté. Sœurs dans la guerre raconte aussi le retour à la nature, et vante le travail manuel, l’autosubsistance saine réalisée par un travail respectueux de la nature. Tout cela se mêle pour donner une histoire qui se ramifie et part dans tout un tas de directions. C’est un roman complexe qu’a écrit Sarah Hall, comme si elle ne voulait pas choisir.
Alain Marciano