Avec cet ambitieux récit de science-fiction, Guillaume Singelin signe un vibrant manifeste écologique et politique. Gros coup de cœur !
Le lecteur est d’abord frappé par le format, le poids et la qualité d’impression du volume. Voilà un bel ouvrage. Tout aussi ambitieux, le scénario de Guillaume Singelin s’articule autour de trois personnages que tout oppose : Ji-Soo est une brillante scientifique qui a perdu la foi dans le progrès ; Camina, une mercenaire enjouée et sans états d’âme ; Alex, un ouvrier de l’espace consciencieux, sensible et désabusé. Amputée d’un bras, la guerrière démissionne, pour investir dans un remorqueur spatial. Pour vivre, elle se fera récupératrice de matériaux, ce qui lui permettra de nettoyer un petit bout d’espace qu’elle a tant contribué à polluer. Camina va sauver Ji-Soo et Alex, ils deviendront amis.
Nous sommes projetés dans un futur proche et passablement dystopique. Épuisée, la Terre se meurt. L’humanité s’est lancée à la conquête de l’espace, mais des États, sans doute faillis, ont délégué la mission à des multinationales dénuées de tous scrupules. Là-haut, la loi de la jungle règne en maître. La justice n’est plus rendue, mais des sociétés de sécurité privée s’opposent les armes à la main au gré de leurs contrats. La « main invisible » du marché a gagné !
Si les trois héros sont très bien écrits, leur chara design surprendra. Singelin dessine de mignons petits personnages aux grosses têtes rondes, aux corps potelés et aux extrémités fines. Certains y reconnaitrons des gnomes, d’autres des chninkel ou les chibis des mangas kawaii. Attention, ces lutins évoluent dans un monde hostile et n’hésitent pas à s’entretuer. Le contraste est accentué par une très belle et très douce colorisation privilégiant, à l’image de la couverture, les teintes pastel.
Si les traits des visages semblent un peu figés, le travail sur les décors est magnifique. Il excelle autant dans la description de stations spatiales encombrées et surpeuplées, que dans celle de planètes exotiques encore préservées de la prédation humaine. Laissez-vous touchez par la beauté des rizières en terrasses au coucher du soleil de Minerva ou par celle d’une randonnée dans ses canyons multicolores pris par les glaces. Chaque détail sonne juste, que ce soit le tableau de bord de la navette, le bivouac dans la montagne ou la scène de combat en apesanteur.
Dans une seconde partie, le propos se fait plus politique. Quand la société se fait inhumaine, la solution pourrait être dans l’objection conscience, la fuite et la création d’une nouvelle forme d’organisation. Nos héros rejoignent une station spatiale autogérée et pacifique. Singelin ne se laisse pas pour autant gagner par l’angélisme : rien n’est joué, mais une résistance est encore possible.
Stéphane de Boysson
Frontier
Dessin et scénario : Guillaume Singelin
Éditeur : Rue de Sèvres / Label 619
202 pages – 21,90 €
Parution : 12 avril 2023
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