Tout le monde n’a pas le courage de se plonger dans les théories de Piketty, même si elles sont sans doute parfaitement accessibles. Pour ceux qui hésitent encore, Claire Alet et Benjamin Adam proposent une brillante adaptation en BD de Capital et Idéologie, son livre le plus connu…
Parmi l’accumulation d’adaptation d’essais et de livres théoriques en format un BD, il en est qui attire particulièrement l’attention : il s’agit de l’illustration des théories sur l’économie et la société de Thomas Piketty par Claire Alet – ex-rédactrice en chef adjointe au magazine Alternatives Economiques – et Benjamin Adam – dessinateur passionné par la forme documentaire. Picketty est en effet l’un des nos économistes les plus célèbres, et, logiquement, le plus victime de polémiques quant à son approche de l’histoire, et ses conclusions visant à réduire les inégalités sociales à travers de nouvelles approches fiscales ou économiques. Presque tout le monde à entendu parler de lui, de son approche « de gauche » de la redistribution des richesses, son grand sujet (il est particulièrement ironique vis-à-vis de la « théorie du ruissellement » chère à nos dirigeants actuels), mais finalement peu de gens – nous y compris – ont lu ses livres, et même son best-seller Capital et Idéologie.
L’idée géniale des auteurs de la BD est de présenter les théories de Picketty en racontant l’histoire d’une famille de 1794 (et même de 1788…) à 2016, et en expliquant de manière très facilement compréhensible par tous comment cette famille d’origine noble avant la révolution, puis de la haute bourgeoisie a pu rester riche, voire même s’enrichir régulièrement grâce aux systèmes fiscaux ayant constamment veillé à ce que la richesse ne puisse pas être redistribuée, et reste concentrée aux mains des puissants. En suivant une narration chronologique, en sautant d’une génération à l’autre, sans jamais se perde grâce à une arbre généalogique servant de guide, mais aussi grâce à une utilisation pratique des couleurs par chapitre et époque, Alet et Adam nous guident à travers notre histoire (celle de la France principalement, mais en faisant des incursions en Inde, aux USA ou en Grande-Bretagne) pour nous éclairer sur les mécanismes politiques de notre asservissement économique.
Et c’est à la fois extrêmement compréhensible et passionnant, dans la mesure où par-delà les facteurs économiques et fiscaux, nous apprenons des choses (ou nous nous en souvenons si nous les avons oubliées) sur la Révolution Française (qui se garda bien de réellement secouer la hiérarchie des richesses en France), sur Napoléon (qui rétablit sans vergogne l’esclavage qui avait été aboli après 1789), ou sur nos dirigeants qui se sont succédés jusqu’à présent…
Si le dessin de Benjamin Adam semble au début par trop utilitaire, avec une gestion des cases quelque peu claustrophobique, on s’y habitue très vite, et ce d’autant que l’ouvrage ne manque pas d’humour dans son récit des relations familiales et de leur évolution, mais aussi grâce au recul pris très sainement par rapport à son sujet. Il n’y aurait rien eu de moins convainquant qu’un ouvrage purement militant sur un sujet aussi important, et Alet et Adam évitent habilement l’écueil du prêche enflammé, comme ils ont su éviter celui de l’austérité théorique.
Bref, Capital & Idéologie est une autre BD remarquable, aussi passionnante que divertissante. On le referme en se sentant mieux informé, et même un peu plus intelligent.
Eric Debarnot