Le nouvel album Bleu Collapse de Johnny Tchekhova prospère dans un climat brumeux, les guitares s’y émancipent au côté de textes désenchantés et poétiques. Le musicien strasbourgeois signe là une belle page du shoegazing tricolore.
Ces dernières années, on croisait Gregory Peltier sur scène défendre son premier album Loubok, à la guitare au sein de la formation cold wave The Bluebeard’s Castle tout en entretenant le mystère autour de sa discrète personne et de son alter ego Johnny Tchekhova. Dans une autre vie, il écrivit une belle page du rock indie strasbourgeois au sein de A Second Of June, formation qui explorait avec candeur la new wave matinée de noisy-pop.
Depuis, Johnny T. a su modeler sa musique à son image, nette et floutée aux contours. Les références au triptyque Cure–Lucie Vacarme-Diiv ne pourraient résumer à eux seuls la qualité des compositions et la diversité des arrangements. Bleu Collapse laisse les guitares se démultiplier, les voix sniffer de l’éther pendant que la section rythmique sert les fesses. Les claviers ont droit au dessert et c’est parfait comme ça. A la fois shoegazing et ligne claire, les huit titres font preuve d’une belle amplitude.
Avec ses guitares mille-feuilles tenues par une rythmique implacable, Dépossession offre un bel équilibre aux voix narratives, comme une rencontre impertinente entre Diabologum et The Sound. Qu’Eau Rouge élève encore plus haut avec ses guitares nuageuses au coude à coude avec un groove suave. Le texte allie cynisme et poésie comme si pollution et farniente faisaient bon ménage. L’influence du groupe américain Diiv sur le son des guitares et leur imbrications stratosphérique est particulièrement évidente et n’enlève en rien la qualité du titre. L’instrumental A Comme Nasstasia, beau comme une cheminée d’usine, affiche une belle sérénité et convoque un orgue pour une version très personnelle d’un yacht rock joué par un melancholy boy. S’inscrivant dans une tradition plus noisy-pop à la française, Ceci N’est Pas Une Chanson Française offre une conciliation entre distorsions et chant atonal. Une valse et un piano crépusculaire offrent une belle acrobatie mélodique avec Nos Vies Ailleurs alors que surf rock et pop sont submergés d’arrangements et d’effets sur Toxycontine. Toujours un clin d’œil aux 90’s avec Aucun Ne Te Connais qui débute en accords de basse comme les Pale Saints le faisait si bien avant de glisser vers une ligne claire chérie des feux Young Michelin. Un beau voyage fantomatique dans le texte qui nous mène à travers Shanghai, Saint-Pétersbourg et Ottawa à la recherche d’une inconnue pourtant connue. Bleu Collapse clôt l’album, les violons prolongent l’effervescence mélodique tel un Daho désenchanté pris de soubresauts shoegazing.
Pas de doute, cet album signé Johnny Tchekhova est le parfait palliatif pop et noisy pour ceux qui recherchent une drogue sonore qui ne fait pas mal.
Mathieu Marmillot