Ayant manqué le concert du troubadour canadien Ron Sexsmith au New Morning il y a quelques jours, un rapide voyage à Madrid nous offre heureusement l’occasion d’une séance de rattrapage…
C’est dans l’équivalent madrilène du New Morning, à la Sala Clamores, une salle « jazz » où se produit aussi régulièrement Elliott Murphy, que Ron Sexsmith rameute ses fans espagnols, d’ailleurs fort nombreux (proportionnellement plus nombreux qu’à Paris en fait…). Une bonne surprise depuis notre dernier passage dans cette salle, elle a été refaite, a été débarrassée de piliers qui gênaient la vue, et offre désormais principalement une fosse debout (au lieu d’être encombrée de tables). Excellent !
A 20 heures pile, Ron monte sur scène, armé de sa seule guitare acoustique, et débute un set qui va durer une bonne heure et demie, sans compter les deux chansons finales en rappel. Si les années ont transformé le jeune homme au visage poupin en un adulte… au visage poupin, la musique de Ron Sexsmith est restée fondamentalement la même : un folk à haute teneur émotionnelle, porté régulièrement par des mélodies pop bien troussées. Mais la plus belle caractéristique de cette musique, c’est indiscutablement la voix de Ron, largement inchangée : une voix qui évoque des trésors d’innocence et de sensibilité, et nous touche régulièrement en plein cœur.
Ceci dit, si les années ont été clémentes avec sa voix, Ron nous avouera, avec ce joli sens de l’humour qu’il utilisera durant toute la soirée, qu’il ne vit pas mieux que nous le passage du temps. En présentant le très beau Lebanon, Tenessee, une chanson de son premier album, il avouera : « J’avais 31 ans à cette époque-là, j’ai presque la soixantaine aujourd’hui, ça ne me paraît pas normal ! », avant d’ajouter, en nous regardant : « Mais vous aussi, les mecs, vous avez l’air vieux… ! ». Ouille !
Ron a ce soir une allure un peu défraichie, en dépit de sa veste revendiquant fièrement le fait qu’il vient du Canada. « Je suis sur la route depuis le 13 février, pour cette tournée qui se termine. En fait, j’ai probablement l’allure de quelqu’un qui est sur la route depuis le 13 février… » (rires)… Mais la set list, riche de près d’une trentaine de morceaux est ce qu’il y a de plus important : « J’ai déjà fait 17 albums, alors j’essaie de jouer une chanson de chacun de ces albums, afin de maximiser les chances de vous faire plaisir ! ». Et il tiendra presque parole, en couvrant quatorze albums, avec seulement un peu plus de titres extraits du premier, Ron Sexsmith, et du dernier, le récent The Vivian Line !
Les titres sont interprétés principalement à la guitare, avec deux passages au piano, passages qu’il avoue redouter, se considérant un pianiste très médiocre. « J’ai profité du confinement pour apprendre à jouer un peu mieux du piano… Pendant que d’autres apprenaient à danser avec TikTok… ». A un moment, il est rejoint sur scène par Ramón Arroyo, de Los Secretos, pour deux morceaux qui bénéficieront clairement de la virtuosité du guitariste espagnol : Secret Heart et surtout Get In Line, qui aura été à date son seul succès dans les charts… en Grande-Bretagne !
Les thèmes des chansons de Ron Sexsmith sont pour la plupart liés à de petites histoires de la vie quotidienne, et tournent avec délicatesse autour de l’observation de ses proches, de ses amis. Naturellement, le passage des années les colore d’une inévitable mélancolie : chanter un Speaking with the Angel, écrit pour son fils qui avait deux semaines, « alors qu’il a 38 ans aujourd’hui… », distille forcément une atmosphère particulière. Mais au final, chacune des chansons dégageait ce soir son propre charme, dans l’atmosphère recueillie mais chaleureuse de la Sala Clamores, et chacun pourra nommer les titres qui l’auront le plus touché, et qui sont probablement différents. Admettons que nous avons été particulièrement sensibles à son In a Flash, écrit à l’origine en hommage à Jeff Buckley, qui venait de se noyer, à son bouleversant When Our Love was New, sa plus récente chanson écrite pour sa femme (qui l’accompagne dans sa tournée comme tour manager…)… Et à son Foolproof, magnifique balade classique, qui sonne un peu comme un grand morceau de Costello, chanté de manière impériale !
Et à la fin, Ron s’émerveille discrètement : « C’est la meilleure tournée que j’aie jamais faite. Presque toutes les dates étaient complètes. Je ne sais pas ce qui se passe, en ce moment… ». Comment ne pas être ému, aussi, par la simplicité de cet homme, de cet artiste sincère et discret, qui est arrivé à suivre son chemin d’auteur-compositeur pendant trente ans, et est toujours surpris de l’amour que son public lui porte ?
Texte et photos : Eric Debarnot