Les Néerlandais d’Iguana Death Cult ont affûté leurs armes et s’en servent à merveille, ils en donnent la preuve avec un troisième album dont il ne fallait pas manquer la sortie ce mois-ci.
Les deux premiers albums d’Iguana Death Cult avaient déjà agité les radars, mais c’était surtout pour en faire les homologues de Parquet Courts ou les partisans du garage-rock des Stooges. Quatre années se sont écoulées depuis Nude Casino et, entre autres, une pandémie, ce qui aura au moins permis aux cinq Néerlandais, non pas de se délester de ces influences bienvenues, mais plutôt de les parfaire en les mêlant à de nouvelles intentions : moins brouillon, plus précis, plus audacieux.
A l’image de bon nombre de projets qui sortent ces derniers mois, Echo Palace découle de la mise en boîte de l’humanité et, par extension, des artistes. Enfer pour les uns, aubaine pour ceux qui trouvent matière à repenser leur processus de création. On ne va pas dresser la liste des groupes qui ont potassé pendant des mois de confinement et pondu une merveille à la sortie, car elle est longue et n’a pas fini de s’étendre. Malgré tout, la référence ici aux Viagra Boys tombe sous le sens, eux qui, avec Cave Town, poussaient plus loin encore l’expérimentation du chaos. On inscrit donc volontiers à leur suite les Iguanas et leur dernier album, formidable condensé de sarcasme à propos de ce monde qui ne tourne pas rond, voire plus du tout, mais un disque qui pour autant ne manque pas de vitalité.
La formule d’Echo Palace n’est pas neuve, ou du moins ne l’est plus, mais elle est particulièrement bien équilibrée entre lignes mélodiques, riffs clinquants et rythmiques jazzy. Surtout, et c’est là ce qui sort ce troisième album du lot : ça groove, et ça groove fort. On commence à les connaître, ces saxos qui s’incrustent en guest star sur des morceaux de post-punk, mais ici, le groupe ne fait pas les choses à moitié. La section rythmique a la puissance du rock mais la précision et la frénésie du jazz, en résultent des percussions calées au millimètre mais surtout une basse terrifiante, avec aux commandes un Justin Boer plus en forme que jamais. Bref, ça swing sec chez Iguana Death Cult, et ce sur l’entièreté des morceaux, du premier et railleur Paper Straw au percutant Pusherman.
Les sessions free jazz ne sont donc pas en bonus sur Echo Palace, mais bien une de ses pierres angulaires, de sorte que les interventions de Benjamin Herman au saxophone ne tombent pas du ciel, mais intensifient au contraire le jeu mis en place dès les premiers instants, et se fondent à merveille avec les rythmes effrénés de Sensory Overload et Oh No.
Autre nouvelle corde à l’arc de nos Néerlandais : les synthés de Jimmy de Kok qui insufflent une touche de psychédélisme bienvenue à des titres comme Sunny Side Up ou Radio Brainwave, et s’associent parfaitement au reste du formidable magma sonore qu’est le titre phare I Just Want a House. Synthés et percussions s’y font la course, soutenus par une ligne de basse entraînante au possible, et finalement distancés par les riffs délirants de Tobias Opschoor, indispensables contributeurs à la frénésie communicative de l’album.
Bien sûr, la voix de Jeroen Reek est toujours de la partie, toujours aussi incisive et efficace. Psalmodiant souvent, chantant parfois, le chanteur se complait dans un débit rapide et en duo avec Opschoor, lorsque l’un et l’autre se passent le mot à toute vitesse. Particulièrement enivrant sur Heaven in Disorder, le ton de Reek se veut tout à la fois désabusé et impérieux, nous laissant avec cette seule et entêtante réplique « We’re on collision course » : voilà de quoi résumer Echo Palace.
Les cinq membres d’Iguana Death Cult signent certainement ici leur meilleur album à ce jour, et ne reste qu’à attendre de les voir le défendre sur scène pour confirmer les ambitions d’un groupe décidément plus surprenant qu’il n’y parait.
Marion des Forts