Première journée du Festival LEVITATION à Angers, qui fêtait son dixième anniversaire, sous le soleil et dans la chaleur : on vous raconte ça en détail…
Ce week-end, le formidable Festival Levitation fête ses 10 ans, un anniversaire que nous ne manquerions pour rien au monde, avec une affiche excitante – avec des têtes d’affiches moins excitantes que l’année dernière, mais une pléthore de groupes de premier rang. En plus, la météo, après un mois de mai froid, gris et pluvieux, est très optimiste ! Nous voici donc à nouveau installés sur le triste parking du Chabada, pour ce qui est, malgré le cadre très moyen, l’un des meilleurs festivals français (le meilleur ?), extrêmement sympathique en plus, ce qui ne gâche rien.
On attaque sous le cagnard à 17h00, comme il est de transition avec un groupe local. Si durant des décennies de rock français, cette perspective ne nous aurait guère réjouis (celle d’écouter un groupe « du coin »), la qualité actuelle de la musique « rock » en France a changé la donne, et les excellents Big Wool vont le confirmer en 35 minutes d’un set impeccable. Voilà un groupe qui louche vers l’indie pop des années 90, du côté de la Grande-Bretagne, et même par moments de la Nouvelle Zélande (On a cru entendre une influence de The Chills en particulier, sur certains moments « pop avec guitares qui carillonnent), mais ils y ajoutent des dérapages bruitistes bien sentis… Sans parler de l’usage pertinent d’un violon calibré celui de John Cale à l’époque Velvet Underground. Un titre impressionnant en format slowburn (« It’s a crown around my head… »), basculant dans un final paroxystique, permet aussi d’apprécier le chant. Ce sera encore un superbe morceau pour clore le set, avec des interventions a capella, avant le déluge final de guitares. Big Wool ont donc beaucoup d’atouts, et on les suivra avec intérêt…
17h40 : Après avoir un peu brûlé au soleil devant la plus petite scène (« Elévation »), on apprécie l’ombre de la scène « Réverbération ». On remarque que les instruments de MEULE (les deux batteries et les synthés) sont paradoxalement plus regroupés qu’à la Maroquinerie. A l’inverse, dans l’espace sonore plus large offert par le festival, la musique du groupe prend de l’ampleur, et guitares et synthés sont moins effacés derrière les percussions. Le chant aussi, souvent très impressionnant, peut s’épanouir. D’où l’impression d’un set moins furieux, moins intense, plus musical aussi. Il y a par contre toujours ces beaux moments de transe, d’un pur bonheur, quasiment physique. 40 minutes moins frénétiques que lors de la récente nuit Gonzai : ce n’est pas illogique, cette musique est sans doute moins efficace en plein soleil dans une ambiance de vacances anticipées. En tous cas, pas d’inquiétude, on peut confirmer que l’on tient avec MEULE l’un des nouveaux fleurons de la musique hexagonale…
18h25 : Quand on ne peut pas espérer triompher sur le plan musical, on peut toujours tenter de marquer au fer rouge la mémoire des festivaliers en jouant la carte de l’originalité scénique (enfin, on dit « scénique », mais quasiment tout le set des Lambrini Girls s’est passé au milieu du public !). C’est ce que nous démontre le trio punk militant LGBT+, trois jeunes femmes anglaises (pardon pour la qualification genrée !) qui n’ont pas froid aux yeux. Dès leur entrée en scène provocatrice, on sait qu’on aura plus affaire à de l’activisme politique qu’à un vrai concert punk, mais on ne s’attendait pas à ce que la chanteuse se lance immédiatement dans la foule, pour nous faire nous asseoir et nous lever selon son bon vouloir, à nous réquisitionner pour tenir son micro, sa guitare ou même la tenir sur nos épaules au milieu du mosh pit qu’elle gère à sa guise. Sans parler de nous faire clamer individuellement que nous sommes des « gay legends ». On appréciera leur chanson anti-trans haters, qui nous donne l’occasion de brailler : « Fuck J.K. Rowling ! », ou encore un lads lads lads où nous crierons « Fuck the Prince ! ». Signalons que la chanteuse terminera le set en sous-vêtements, avec une spontanéité qui fait vraiment plaisir à voir. Les Lambrini Girls sont radicales, mais sont aussi vivantes et drôles, et on les remercie pour ça ! Elles gagnent aisément la palme du Jour 1 du « groupe le plus photographié ». Pour la musique, on l’a compris, c’était moins convaincant…
19h05 : Avec Ulrika Spacek, le changement de registre ne pouvait être plus violent ! Voilà un groupe très musical, très sophistiqué, jouant dans un genre mi post-punk mi post-rock. Leur musique cultive la dissonance, les rythmes décalés, et frôle parfois l’expérimental façon Radiohead. Mais Ulrika Spacek se rattrapent toujours aux branches en repartant vers une cold wave de bon ton, en gros de l’intelligence et de la sensibilité posées sur des guitares tranchantes, soufflant alternativement le froid et le chaud. On appréciera beaucoup la voix plaintive presque féminine de Rhys Edwards, qui détonne sur le chaos électrique. Peut-être que l’atmosphère extravertie et joyeuse de cette journée de festival n’était pas le meilleur cadre pour une telle musique, mais, heureusement, nombreux sont les spectateurs ayant réussi à se concentrer et à entrer dans le monde brumeux et parfois splendide d’Ulrika Spacek.
19h50 : « Je m’appelle James, j’habite London ! » (en français dans le texte…) : dans un aller-retour stimulant, Crows nous ramènent au punk rock / post punk (si on veut…) anglais. Leur musique est largement basique, avec une injection de metal pour bien faire, et leurs morceaux sont loin d’être mémorables. Leur force : une énergie très convaincante (le groupe a été signé sur le label d’IDLES, ce qui ne choquera personne). Dès le second morceau (et pas dès le premier, hein, les Lambrini Girls !?), le chanteur – beau gosse au charisme indiscutable – est dans la foule, et le moshpit est saisi de frénésie, la preuve : les douches à la bière se multiplient ! Pour nous, c’est quand Crows retrouvent le format punk ’77, avec refrains slogans scandés, qu’ils réjouissent le plus, même si, dans un registre plus complexe, Silhouettes, un titre du prochain album, montre que le groupe a du potentiel. Même si Crows ont parfois du mal à sortir de l’ordinaire, ils nous auront offert de beaux moments de montée en puissance (sur Healing, par exemple). Un groupe parfait pour un festival au soleil (et arrosé à la bière !).
20h40 : avec Cloud Nothings, on attaque les gros morceaux de la journée, et on monte nettement d’un cran et en qualité et en intensité. Le premier titre, longue ascension patiente vers la rage est littéralement saisissant et nous offre notre premier vrai grand moment de rock de l’après-midi. Les Américains enchaîneront avec une bordée de chansons pas loin de la perfection, combinant énergie, violence même, et mélodies. On sent que les festivaliers commencent à se lâcher vraiment, même si l’approche du coucher du soleil et la diminution de la température contribuent aussi à ce déploiement d’énergie. Le batteur cogne comme un enragé, les morceaux frénétiques s’enchaînent. Problème : au milieu du set, le son semble sans puissance, comme si une partie de la sono n’était pas branchée. On se plaint, on se plaint, sans résultat, même si un responsable du festival vient parler au groupe… Et puis au bout d’un bon quart d’heure de marasme sonore, un déclic : quelqu’un a trouvé la solution technique et une vague de son énorme se met à déferler sur nous, accueillie par un gigantesque hurlement de joie du public. Le concert, déjà très beau, va passer à la vitesse supérieure et s’acheminera vers un final titanesque. Si on nous demandait à quoi ressemble la musique de Cloud Nothings, on dirait aujourd’hui quelque chose comme : « c’est du Nirvana sans la dépression de Kurt Cobain. ». Ça vous ira comme définition ?
21h30 : Il est temps, grand temps d’aller se restaurer (délicieux stand de snacks et plats indiens, soit dit en passant…) en faisant l’impasse sur Forever Pavot, largement décalé par rapport au programme de la journée.
22h30 : Altin Gün vont créer la plus grosse polémique de la journée. Pour certains de nos amis, c’est de la « variété world » qui n’a pas sa place dans un Festival comme Levitation. Pour d’autres, comme nous, c’est la démonstration de plus en plus éclatante que le métissage entre le rock occidental et les musiques du reste du monde est la meilleure solution : une sorte d’évolution « darwinienne » de notre musique, en sorte.
On a encore en mémoire l’énorme fête des sens qu’a été le concert des Hollandais au Trianon il y a quelques semaines. Eh bien, ce soir, Altin Gün, c’était quelque chose de sensiblement différent : moins fun, moins festif, plus rock psyché, plus fort. Prenant sans doute en compte le fait que peu de gens d’origine turque seraient là pour chanter et danser, le groupe a joué intelligemment la carte de l’intensité électrique et de la puissance rythmique. Et a recueilli les fruits de cette approche, en gagnant l’adhésion d’une large partie du public. Si l’on pouvait craindre qu’une heure et demie, ce soit un peu long dans un tel festival, Altin Gün ont tourné les potards au maximum à partir de la quarantième minute de set, nous offrant des déluges électriques du plus bel effet. Un bémol cependant, le choix de l’obscurité sur scène, qui ne correspond pas à la flamboyance de la musique, et nous a un peu frustrés…
Minuit cinq : la fatigue se fait sentir dans les jambes, mais visiblement pas chez le contingent de fans de The Psychotic Monks qui ont fait le déplacement. Le public devant la scène a tout de la bombe à retardement, et l’explosion va être redoutable, dès que le groupe, après son habituel démarrage « progressif », va pousser tous les curseurs dans le rouge. L’intro quasi-techno de Crash est une tuerie, et on remarque chez les Monks une sorte d’euphorie qui fait plaisir à voir. Et qui va élever leur set nettement au-dessus de celui de la Maroquinerie en avril dernier. Bien entendu, quand le groupe se lance dans ses délires expérimentaux – parfois malaisants (comme le coup de l’auto-cannibalisme sur Décors) -, une partie du public décroche : c’est habituel avec les Monks, pas de souci ! Mais ce soir, le set, particulièrement enflammé, se terminera sur plusieurs déflagrations sonores du plus bel effet, de quoi terminer le festival sur un haut, un très haut.
Bref, The Psychotic Monks ont confirmé ce soir, dans la joie, et bien entendu, la bienveillance, qu’ils étaient bien toujours l’un des groupes les plus passionnants de la planète tout entière, et pas seulement de l’hexagone. La preuve (et c’est l’image que nous garderons de cette soirée) : les filles de Lambrini Girls étaient en coulisse, ouvrant de grands yeux devant ce set plus punk que punk, qui véhiculait les mêmes idées que les leurs avec beaucoup plus d’intelligence et de sensibilité. C’est bien au tour des groupes français d’influencer les groupes anglais, non ?
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Bonjour, je n’étais pas à ces concerts à Angers. Par contre j’ai vu The Psychotic Monks à La Maroquinerie à Paris en avril dernier et je n’ai pas du tout le même avis que vous sur ce groupe. Que vous aimiez je le comprends tout à fait mais faire croire aux lecteurs que « c’est un des groupes les plus passionnants de la planète tout entière » rien que ça (!), il faut arrêter les exagérations et les surestimations ! Il n’y a pas de compositions structurées ,c’est joué n’importe comment et c’est donc sans intérêt. Naze de chez naze et moins que zéro.
Amen !
Bonjour Jean-Pierre, merci pour votre commentaire. Il ne s’agit pas de faire croire, mais de partager notre enthousiasme. Un enthousiasme qui n’est pas que personnel, puisque nombreux sont ceux qui admirent autant que moi ce groupe hors du commun. Mais nombreux aussi sont ceux qui les détestent, et c’est bien leur droit. Il s’agit d’un groupe clivant, qui laissera difficilement les gens indifférents.