Certainement moins original et moins impressionnant que son Labyrinthes paru il y a exactement un an, la Faille ne manque pourtant pas d’ambition, puisque Franck Thilliez se coltine frontalement avec l’un des plus grands sujets qui soit, celui de la Mort.
La Mort (majuscule, s’il vous plaît…) est depuis toujours l’un des grands sujets de la littérature, pour ne pas dire le moteur principal de l’Art. Logiquement, le polar, au même titre que le fantastique d’ailleurs, se coltine plus que tout autre genre littéraire avec ce sujet, qui rode quasiment toujours dans les pages des thrillers. Franck Thilliez, l’un des plus gros vendeurs français dans le genre, a lui-même dansé plusieurs tangos – un pas en avant, plusieurs pas en arrière ou sur le côté… – avec la faucheuse. L’un de ses récents scénarios, celui de la série Vortex, racontait par exemple l’aventure d’un couple qui cherchait, en réécrivant le passé, à échapper à une mort qui, du coup, semblait moins inexorable. La Faille voit Thilliez aller une étape plus loin, en faisant de la Mort son quasi seul sujet, et en se penchant sur la question centrale – moteur essentiel de la foi religieuse : « la mort est-elle une fin ? »
Deux intrigues progressent en parallèle dans le livre : d’un côté, on a l’un des membres de l’équipe de Sharko (qui revient ici après Labyrinthes, où il n’apparaissait pas) qui se trouve dans le coma après une opération policière ayant mal tourné, tandis que de l’autre il y a l’enquête de Sharko sur la disparition d’une jeune femme dont on a seulement retrouvé un fémur greffé sur une victime de serial killer, enquête qui va emmener le policier à la poursuite d’une bande organisée jouant avec la fascination pour la mort pour attirer leurs « clients » dans une « faille ».
Cette double fiction permet d’abord à Thilliez de traiter les sujets – à la mode et politiquement polémiques – de la fin de vie, de l’euthanasie, de l’acharnement thérapeutique (on se permettra d’être un peu plus réticent quant à certains passages qui peuvent laisser penser, à tort sans doute, que Thilliez défend les positions réactionnaires des opposants à l’avortement…) : cette partie est la plus émouvante du livre, s’éloignant d’ailleurs du genre « thriller », pour être purement psychologique. Le versant « enquête » de la Faille va quant à lui partir d’un contexte largement fantastique – avec les habituels symboles religieux des démons venant tourmenter morts comme vivants -, retourner au policier le plus rationnel, avant de se terminer dans une atmosphère qui relève quasiment de la Science-fiction… Même si Thilliez explique dans la postface qu’il s’est basé pour la conclusion de son livre sur une documentation sérieuse et sur des recherches scientifiques et technologiques réelles ! Le résultat de ce parcours peut être parfois déstabilisant, surtout si l’on n’est pas forcément client des images horrifiques, voire gore, qui sont au cœur de bien des thrillers, mais il est indéniable que cette approche permet à Thilliez de couvrir la plupart des grands thèmes liés à la Mort.
Indéniablement plus ambitieux que la majorité des thrillers lambda, la Faille bénéficie de la grande maîtrise de la narration de Thilliez, mais trébuche quand même sur une certaine banalité des images proposées (ce qui est sans doute inévitable vu l’universalité de son sujet). Et se révèle au final moins stimulant et moins stupéfiant que Labyrinthes.
Eric Debarnot