Rémi Torregrossa et Jean-Christophe Derrien adaptent avec brio l’extraordinaire nouvelle de Rudyard Kipling.
Rudyard Kipling publie The Man Who Would Be King en 1888. En une cinquantaine de pages très denses, il y dresse le fascinant portrait de crapules qui parviennent à se faire couronner roi. En 1975, John Huston l’a adapté au cinéma avec le fabuleux duo formé par Sean Connery et Michael Caine.
Anciens sous-officiers de l’armée des Indes, Daniel Dravot et Peachy Carnehan vivent de petites escroqueries. Seulement Davot voit grand. Alors que l’Europe semble dominer le monde, il demeure un dernier pays inconnu, le lointain Kafiristan, où jadis aurait été enseveli Alexandre le Grand. Il entend en devenir le roi ! Les deux compères s’engagent à une mutuelle loyauté et à une abstinence des femmes et de l’alcool. Ils partent avec 20 fusils modernes. Par une alliance de fascination, de division et de menaces, le très charismatique Dravot séduit les caciques locaux, les arme et leur permet d’écraser leurs belliqueux voisins. Il sera roi. L’Histoire connait de tels destins, Alexandre le Grand était fils de roi, mais Hernán Cortés ou James Brooke n’étaient rien. Le premier finit vice-roi de la Nouvelle-Espagne et le second rajah « blanc » du Sarawak à Bornéo.
Contraint par un format relativement court, Jean-Christophe Derrien conserve l’essentiel du texte, même s’il opère quelques ajustements, notamment sur la « déification » de Dravot, qui n’intervenait chez Kipling qu’après qu’il ait miraculeusement survécu à une blessure mortelle.
Jean-Christophe Derrien pratique une très classique et lumineuse ligne claire. Si ses aplats de couleur manquent un peu de fantaisie, il livre deux très beaux personnages, qui parviennent à faire oublier Sean Connery et Michael Caine. Dravot et Carnehan sont objectivement des canailles qui, au seul service de leur ambition, pillent, mentent et tuent, mais l’audace et la prestance de son Dravot impressionnent jusqu’au lecteur.
Ébloui par sa réussite, rompant avec leur pacte et avec ses lointains idéaux maçonniques, Dravos se veut désormais empereur et dieu ! L’ubris les perdra, ce n’est que justice.
Stéphane de Boysson