Seconde et dernière journée de cette 10ème édition de LEVITATION, très chargée en moments forts : un anniversaire qui aura été une nouvelle réussite pour ce festival à la programmation exigeante !
Ce dimanche, avec un temps qui promet d’être un peu moins chaud (promesse non tenue, d’ailleurs), Levitation démarre une demi-heure plus tôt : 10 groupes sont programmés pour cette deuxième journée, au lieu de 9 la veille. Un dimanche qui s’annonce donc chargé. Tiendrons-nous le coup physiquement, surtout en courant à chaque fois d’une scène à l’autre pour assurer le premier rang, à la barrière ?
16h30 : On attaque comme la veille par les locaux de l’étape. Chez Bermud, on remarque tout de suite le chanteur qui semble avoir copié son look sur celui de Morrissey… même si la musique n’a rien à voir avec celle des Smiths. Le démarrage est un tantinet incertain avec un morceau où la voix a du mal à se mettre en place, suivi par un discours maladroit du chanteur (dû au stress sans aucun doute). Mais pas d’inquiétude, le tir est vite redressé et Bermud font preuve d’une vraie puissance. Même si l’on reste quand même assez sagement dans un pré carré qui était plus ou moins celui d’Oasis, on sent que le groupe se détend alors que le concert avance, et les morceaux les plus violents (comme Sweet Lullaby) sont joués avec une conviction qui nous embarque. Le final du set de 35 minutes sera joliment tranchant et bien enlevé. Tout le monde autour a aimé cette belle découverte : bravo aux Angevins, décidément !
17h10 : Dans un registre plutôt inhabituel pour Levitation, Sylvie est un septette californien (en fait mi-britannique mi-américain pour cette tournée) qui joue une sorte de soft rock mâtiné de country sentimentale : la musique est largement basée sur des guitares acoustiques (en s’appuyant sur une rythmique rock, quand même), et surtout sur des vocaux à trois qui sont parfaitement exécutés, et bien léchés… Trop peut-être, en fait. Et puis il y a la pedal steel et le jeu soyeux du guitariste soliste (électrique) qui rebuteront forcément tous ceux qui craignent les caries. On est dans le registre d’une musique extrêmement bien jouée et bien chantée, principalement sur des tempos moyens confortables, mais manquant d’aspérités à notre goût…
A noter que c’est le premier tour d’Europe de Sylvie, et que les musiciens débarquent à Angers après 48 heures sur la route – pour venir de Berlin – afin d’être là, avec nous. Respect ! Et puis, il faut savoir que personne ne se nomme « Sylvie » dans le groupe : c’est le titre d’une chanson, probablement la meilleure de leur set… Le public du festival apprécie clairement cette musique relaxante, cette rupture avec l’ambiance plutôt sombre de la majorité des groupes. Grâce à Sylvie (et au soleil qui participait à la fête), Angers a été transporté pendant une demi-heure sur la West Coast…
17h50 : Mais contre toute attente, l’offensive californienne se poursuit, avec Triptides, étiqueté Rock Psyché. Un groupe qui en revient en fait au psychédélisme West Coast des 70’s. Deux claviers et un jeu du leader qui peut évoquer celui de Ray Manzarek. C’est joliment énergique. Avec le look qui va bien (on jurerait que les musiciens viennent de débarquer d’une machine à voyager dans le temps), il ne manque que des effluves de haschich, des vestes à franges, des bandeaux dans les cheveux et des filles aux seins nus dans le public, et on pourrait se croire à nouveau durant le Summer of Love !
On appréciera forcément les moments de gros délires aux claviers, mais avec des vocaux assez ordinaires, la musique de Triptides tient surtout grâce à quelques gimmicks psyché accrocheurs, à de beaux solos de guitare. Une jolie chanson pop psyché rafraîchit le set, dans un style plutôt anglais pour le coup (Never Ask Me Why ?). Mais c’est Reactor, un titre puissant, rapide, dans un registre garage aussi, qui renouvelle l’oxygène en nous rappelant qu’on est en 2023 : enfin il se passe quelque chose qui dépasse l’hommage… mais on y retombe ensuite. Bref, un groupe à gros potentiel, capable de déployer une formidable énergie mais qui doit encore trouver sa route et arrêter de regarder en arrière pour sortir des stéréotypes…
18h40 : Une musique d’introduction du set piquée aux Cramps, ça nous met de bonne humeur, forcément ! On va enfin avoir une dose – la première de la journée – de fuckin’ rock’n’roll, et ça fait tellement de bien ! Même si on savait que ça allait être « sévère » avec les Hollandais de Tramhaus, on ne s’attendait pas forcément à un tel set, qui remportera donc de l’avis général la palme du concert du jour, et même du festival tout entier…
Un chanteur charismatique, une musique brutale, des guitares acérées, et, cerise sur le gâteau, un plaisir de jouer et une complicité formidable entre les membres du groupe… sans même parler des compositions originales, avec des textes remarquables : Tramhaus ont tout bon ! La preuve : Seduction / Destruction avec ses poussées d’hystérie ; le riff méchant de Solid Ghost (on n’est pas sûr du titre de la chanson !) ; la jouissance folle d’un Make It Happen, morceau génial avec ses paroles tellement drôles et… justes : « Welcome to the wild west / It’s not allowed to shoot each other in the back, but it happens / It’s not allowed to drive real fast, but it happens / It’s not allowed to stab each other in the chest, but it happens… » (Bienvenue dans l’ouest sauvage / Il est interdit de tirer dans le dos, mais ça arrive / Il n’est pas permis de rouler très vite, mais ça arrive / Il n’est pas permis de se poignarder dans la poitrine, mais ça arrive… ») ; l’explosion de fureur au milieu de The Goat ; l’humour de I Don’t Sweat, chanté après que le chanteur se soit plaint de la difficulté de jouer en plein cagnard ; le punk rock intraitable de Beep Beep et l’explosion de Karen is a Punk pour finir. Et puis les hurlements de la bassiste pendant que le chanteur fait son crowd surfing… Parfait, tout simplement !
Pour finir, il faut noter l’élégance jaggerienne du chanteur, malgré la coupe de douilles et la moustache un peu ringardes. On a une théorie : ce type est le fils caché que Jagger a eu avec une michetonneuse du red light district d’Amsterdam, et il a été élevé au shit et biberonné aux Cramps. Sinon, autant de classe, ce n’est pas explicable !
19h20 : Après une telle dérouillée, doublée d’un tel coup de cœur, on n’ose plus rien attendre de Levitation. On a tort, car Acid Dad vont aussi faire très fort. Il s’agit d’un trio new yorkais, d’un groupe au format inhabituel avec deux guitares et une batterie. Les deux guitaristes qui tirent la gueule ressemblent à deux frères, mais non. Ils jouent un rock psyché halluciné et méchant, comme une version Grosse Pomme de The Jesus & Mary Chain, avec le même principe du : je tire la gueule et j’arrose tout le monde au lance-flammes. Et puis peu à peu, de la lumière semble percer la brume, la musique s’enrichit de riffs et de mélodies rock’n’roll, et on se souvient enfin qu’on a aimé leurs albums et leurs excellentes compos. Les derniers titres joués sont parfaitement enthousiasmants. Tout le monde est sous le charme : on tient peut-être là le prochain grand groupe new-yorkais, celui qui fait la synthèse du Velvet, de Sonic Youth, des Strokes et de Parquet Courts (avec un doigt – dressé en l’air – de Nirvana, qui ne sont pas new-yorkais). Superbe confirmation d’un groupe important que l’on ne connaissait que sur album.
20h05 : Le trio australien de Clamm revient inchangé depuis son dernier passage, pour nous labourer le crâne avec leur punk hardcore sans concessions. La formule fonctionne à merveille avec une section rythmique très offensive et pourtant solide comme un roc. Le son est excellent et met réellement en valeur les morceaux, plus complexes qu’il n’y paraît. Jack Summers, le chanteur / guitariste / leader ironise sur la manière lamentable dont il parle quelques mots de français (comme « Merci ! »). Il se plaint aussi de la chaleur, ce qui surprend plus de la part d’un Australien. Avec un set très intense et une prédisposition à la sainte colère (les textes des chansons sont particulièrement offensifs quant à la situation politique et sociale australienne), le groupe est devenu quelque chose d’assez énorme, aidé par un son colossal. Il est néanmoins desservi – de notre point de vue – par le chant hurlé assez uniforme, voire monotone, de Summers. Au bout d’un moment de ce traitement de choc, on peut saturer et avoir envie de quelque chose de plus… subtil !
20h50 : On passe donc aux filles de L.A. Witch, qui jouent en effet plus dans la subtilité, avec un rock psyché / garage qui ne manque pas d’élégance… Mais qui manque de punch ce soir… au bout de quelques titres, tout ça semble mou, et en dépit du look sexy de nos amazones de la nuit (un look qui nous aurait ravis à une époque où l’on n’avait pas encore honte de ce genre de pulsion, mais qui est finalement démodé aujourd’hui), on s’ennuie gentiment. Il faudra attendre une vingtaine de minutes pour que l’intensité monte enfin, et que L.A. Witch fassent parler la poudre. Bon, l’attitude des filles, qui ne semblent pas très concernées, n’aide pas : on est loin de l’énergie joyeuse de leurs copines de Death Valley Girls. Bref, même si leur set s’améliore vers la fin avec quelques morceaux plus forts, ce n’était pas la soirée de L.A. Witch.
21h35 : Porridge Radio, enfin ! Le charisme et la voix si particulière de Dana Margolin, la force émotionnelle de ses chansons, toujours jouées près de l’os : en résumé, l’un des groupes qui avaient pleinement justifié notre excitation vis-à-vis de la programmation du dimanche. « I don’t want to be forgiven » : ah, ces fameux mantras que Dana récite jusqu’à en hurler d’hystérie, qui font la singularité de la musique de Porridge Radio, mais irritent aussi bien des spectateurs ! On remarque quand même rapidement combien le renfort vocal de la petite organiste reste essentiel pour ajouter une touche pop à des chansons très noires. Mais ce soir, la musique de Dana semble pleine d’un lyrisme majestueux sur lequel ses envolées colériques ou désespérées peuvent prendre appui. Cette fois, le set est une succession aberrante de moments énergiques, quasi joyeux, où Porridge Radio ressemble presque à un groupe de post punk normal, et de chutes verticales dans la dépression. La magnifique torture de ce cri déchirant de « I don’t want to be loved », paroxysme de la frustration, démontre combien la voix acide, masculine parfois, singulière toujours, de Dana, est un atout. Et puis Dana descend dans la foule pour aller physiquement communiquer sa colère, et c’est impressionnant.
Même si tout le monde dans nos connaissances n’a pas été aussi convaincu que nous – il faut rentrer dans la musique de Porridge Radio ! -, voilà sans doute le meilleur concert que nous ayons vu d’eux en France. Et ce, même avant le final extatique de Back to the Radio ! Ajoutons une vraie bienveillance vis-à-vis des fans : Dana et ses musiciens plient leurs setlists en avions de papier qu’ils nous envoient par-dessus la fosse… Ils auront été les seuls de tous les groupes de ces deux jours de festival, à penser à nous ! Ce n’est pas anecdotique…
22h30 : Faut-il encore écouter The Dandy Warhols ? C’est une question légitime devant la bouillie qu’ils ont commencé à nous servir ce soir. A moins qu’ils fassent la supposition que tout le monde devant la scène est défoncé. « I want weed ! » gueulait un type à côté de nous, et pour une fois, on le comprenait. L’idée de se farcir une heure et demie de divagations hébétées sans aide paraissait insupportable, surtout après la décharge émotionnelle de Porridge Radio…
Mais évidemment, même si le groupe s’est considérablement « amolli » par rapport à ses grandes années, les « Dandys » sont des malins, et pas seulement parce qu’ils jouent désormais dans l’obscurité ou dans un halo de lumière rouge ou bleue empêchant qu’on distingue réellement leur âge. Il suffit qu’ils se mettent à débiter leurs hymnes d’antan, dans une sorte de « best of » porté par l’enthousiasme de la foule du festival, pour redevenir l’espace d’une heure et demie les rois du rock psyché, version décadente. Et puis Zia est quand même allée faire son tour de surf sur les bras des festivaliers, alors !… Après, on peut trouver ça plus très passionnant, mais il est difficile de nier leur savoir-faire !
Il est minuit : plus assez d’énergie pour terminer la nuit sur l’électro dingo de MADMADMAD ! Ce sera pour une autre fois. Mais sur le chemin du retour, nous reviennent à l’esprit les craintes de certains habitants d’Angers quant à la faune étrange que le succès du festival pourrait amener en ville : épuisés comme nous sommes avec une programmation quotidienne aussi opulente, il y a peu de risques que nous trouvions encore l’énergie d’aller semer le trouble en centre-ville ! Finalement, le bon Rock, ça calme !
A l’année prochaine au Chabada, en tout cas !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Franchement au delà de la critique musicale, la critique vestimentaire n’a rien à foutre ici. Quelle idée de juger par ça ! Faut vraiment être un vieux con, ou pas avoir d’idée pour rédiger un article comme ça.
À bon entendeur
Bonjour, merci pour votre commentaire. Il me semble au contraire que l’apparence vestimentaire a toujours été un element clé de la culture rock et de ses valeurs, au point d’ailleurs d’avoir régulièrement influencé la mode. Donc de ce point de vue, il me semble pertinent de noter les messages que font passer les artistes à travers leurs habits et d’y réagir.