[INTERVIEW] Sébastien Schuller : « mieux vaut jouer peu de notes mais les bonnes »

On avait quitté Sébastien Schuller en 2014 avec son troisième album, Heat Wave. Il a fait sa réapparition, il y a peu , avec un disque quasi instrumental articulé autour du piano. C’est quand les gens reviennent que l’on se rend compte combien ils avaient pu nous manquer. C’est peu de dire que l’univers en clair-obscur du français nous fait du bien en ces temps où le monde d’après commence à ressembler étrangement à celui d’avant en moins excitant. Sébastien Schuller est sorti de son silence pour se raconter et expliquer son absence.

© Margaux Bissette

Sébastien Schuller, vous revenez neuf ans après Heatwave avec votre quatrième album, Introspection. Vous nous avez habitué à éprouver notre patience par la durée qui s’écoulait entre chacun de vos disques. Vous interrompez cette absence avec un disque quasi-instrumental, articulé du seul piano. Il y a toujours eu une grande part donnée aux titres instrumentaux dans votre discographie. Quelles étaient vos intentions à la genèse d’Introspection ?

Sébastien Schuller : Je voulais simplement faire un disque au piano. J’ai toujours été habitué à faire des morceaux arrangés avec des synthétiseurs et différents instruments. Je trouvais intéressant de se débarrasser de tout ça pour un projet entier et aller à l’essentiel de thèmes que je considère pop, se concentrer sur un seul instrument.  J’aurais pu arranger ou chanter certains de ces titres mais j’aimais l’idée que les morceaux restent dénudés pour ce disque, j’ai l’impression qu’on y entend des arrangements suggérés.

Vous venez donc de sortir Introspection, votre quatrième album en version numérique. Cette manière de distribuer ce disque est-elle une manière de considérer cet album comme une « parenthèse récréative » ou au contraire pensez-vous qu’il aura une grande importance pour votre carrière à venir ?

Sébastien Schuller : C’est loin d’être une parenthèse juste un projet différent. J’ai passé beaucoup de temps sur ces deux disques et j’ai l’impression qu’ils se répondent ou se complètent d’une certaine manière. Le deuxième étant plus électronique et chanté. Ils font définitivement bien partie d’une même période de ma vie. Je souhaite bien les sortir en vinyle par la suite.

Sur Deep Within Me, le titre qui ouvre l’album et le seul morceau chanté, vous dîtes :

A trail somehow drives you home

you know how, he tells you with soft tone
A trail somehow drives you home
you may always have the same doubts
A trail somehow drives you home
you’ve been hiding yourself until now until now

Vous avez longtemps vécu aux Etats-Unis, à Philadelphie et vous êtes revenu en France il y a peu. Est-ce que cette introspection que vous affirmez dans le titre du disque se nourrit de ce retour et en quoi ces deux lieux où vous avez vécu et où vous vivez influencent-ils le disque et le disque actuellement en préparation ?

Sébastien Schuller : C’était surtout une sorte d’état des lieux, une prise de conscience…Les endroits influencent forcément vos créations mais ce disque commencé aux Etats Unis fut achevé en France. C’est un projet que j’avais bien en tête et qui a voyagé avec moi. Mes disques sont surtout intimement liés à mes périodes de vies, accompagnés d’une mélancolie que je trimballe ou cultive d’une certaine manière depuis longtemps.

Ce qui revient souvent quand on vous lit dans les nombreuses interviews que vous avez accordé aux médias, c’est cette notion de cinétique, cinématographique. D’ailleurs chacun des onze titres qui forment Introspection sont comme autant d’images, comme autant de paysages mentaux imaginaires. On jurerait presque que les mélodies que vous composez naissent d’images. Au-delà de la seule composition pour le cinéma, quel est votre rapport à l’image et la composition ?

Sébastien Schuller : Oui J’ai beaucoup d’idées qui me viennent de sensations gardées après le visionnage de films ou d’images présentes autour de moi. Vivant à l’étranger, j’ai ressenti une certaine nostalgie et l’envie de regarder des vieux films Français vu ou revus pendant la période de création de ces deux disques. La Peau Douce, Hôtel Des Amériques et bien d’autres… J’ai souvent eu des images en tête, empruntées à des films, des photographies, parfois juste une séquence qui va m’habiter pendant longtemps et me servir d’inspiration. Le fait de grandir à l’écoute de ces bandes sons de ces vieux films était aussi à mon avis assez formateur et je pense que ça nous a développé une certaine culture ici. Mais ce processus créatif est souvent indissociable de ma propre vie.

Introspection s’inscrit dans cette lignée de disques en Piano Solo. Comment expliquez-vous ce regain d’intérêt pour ce type d’albums ?

Sébastien Schuller : Je ne sais pas, il y a surement des artistes assez exposés qui en influencent d’autres. De mon côté ça fait tout de même longtemps que je fais des titres au piano et j’avais juste cette idée d’en faire un album entier…

Quel est le disque de piano solo qui vous a le plus marqué et pourquoi ?

Sébastien Schuller : Je n’en écoute pas beaucoup. J’aime des titres piano voix de Nina Simone, d’une chanteuse pianiste éthiopienne (Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou et son sublime Ethiopiques 21) qu’on m’avait fait écouter dont j’aimais l’approche un peu improvisée, j’aime aussi Nils Frahm.

On pourrait hâtivement rapprocher Introspection de la scène néo-classique ou minimale. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce que représente le courant néo-classique pour vous musicien de formation classique ?

Sébastien Schuller : Pas grand-chose en fait, je me perds un peu dans la classification des musiques et disques.

Depuis quelques temps, on voit apparaître quelques avis critiques sur la scène néo-classique, à laquelle on reproche de sortir des disques souvent paresseux et peu créatifs. Je me rappelle d’un échange avec le pianiste rennais Melaine Dalibert au sujet du néo-classique : « cette étiquette néo-classique, je ne l’arbore pas avec un plaisir particulier, je trouve le terme assez réducteur et connoté de manière assez conservatrice ». Un phénomène s’est installé depuis quelques années, on voit sortir des playlists sur les sites de streaming, des musiques à visée utilitariste, des musiques pour se relaxer, des musiques pour courir, etc… Le principal écueil de la musique néo-classique ne réside-t-il pas dans cette dimension utilitariste justement, selon vous ?

Sébastien Schuller : Je n’ai pas vraiment d’avis…la manière de consommer la musique a changée. Je pense que c’est plus lié au fait que ce soit des musiques instrumentales … Ensuite le reste ne nous appartient pas. On a tous des manières différentes d’écouter et de découvrir des musiques.

Si vous deviez définir votre musique, Sébastien à quelqu’un qui ne l’a jamais entendu, qu’en diriez-vous ?

Sébastien Schuller : Je ne sais jamais trouver les mots précis qui lui donnerait une singularité ou une bonne description. Donc c’est souvent par les termes mélancolique, voix éthérées, pop électronique assez cinématographique.

Dans une interview au moment de la sortie de Heatwave, vous dîtes : « Mon but secret serait de réussir à faire danser en pleurant ». Heatwave est très marqué dans ses ambiances pour les années 80 avec ces groupes qui alliaient énergie et mélancolie et si on pousse encore plus loin vous avez intitulé votre premier album Happiness  qui contient nombre de titres mélancoliques. C’est un peu comme s’il y avait chez vous comme un refus d’une forme de manichéisme un peu simpliste, c’est un peu comme si vous voyiez les choses d’une manière plus nuancée. La vie serait donc quelque part plutôt grise que noire, non ? Comment expliquez-vous ce but secret et avez-vous évolué dans cette perception de la musique depuis ?

Sébastien Schuller : Tout ce qu’évoque le mot gris me plait… Fade to Grey…  Je ne sais pas si c’est un but mais la vie vous apporte une vision plus nuancée des choses.  Parfois je m’amuse un peu ironiquement du paradoxe de certaines situations. C’était le cas pour le titre Happiness. Pour le disque dansant, j’ai surtout des envies d’essayer des choses que j’ai moins développé auparavant, de me surprendre dans mes capacités avec de nouveaux projets.

On sent souvent dans votre musique un rapport à la contradiction, peut-être même au malentendu, cet optimisme mêlé à la tristesse. Ce serait-cela la musique à la manière de Sébastien Schuller ?

Sébastien Schuller : Intéressant…je ne sais pas si j’en avais déjà vraiment pris conscience mais de toute façon ce n’est pas évident de l’analyser soit même. Ça représente surement ma personnalité ou ce qui me touche dans la vie. Le fait de composer est assez vital pour moi et m’arrive naturellement et la musique ma toujours transportée et accompagnée dans des moments compliqués et m’aide à m’échapper au quotidien. Je crois que je reste optimiste malgré mes côtés pessimistes…

Si je vous dis que le silence a toujours eu un rapport étroit avec votre musique, vous reconnaissez-vous dans cette description ?

Sébastien Schuller : Je me suis toujours dit qu’il fallait plutôt jouer peu de notes mais les bonnes. Le silence y trouvant bien entendu sa place. Ça s’entend peut-être sur ce dernier disque avec des morceaux comme hiver notamment peut-être aussi dans les respirations.

A vous lire dans les différents entretiens que vous avez proposé ces vingt dernières années se dégage le sentiment d’un compositeur plutôt prolifique. Pourtant à ce jour, vous n’avez sorti que quatre albums. Y a-t-il chez vous une difficulté à accepter qu’une chanson trouve sa forme définitive et êtes-vous « victime » du syndrome du Control Freak ?

Sébastien Schuller : Je suis totalement control freak et d’ailleurs je remercie vraiment la patience des personnes qui travaillent avec moi et qui m’apportent beaucoup. Chab au mastering ou Yann Arnaud qui a travaillé sur mes autres disques. Ils comprennent et entendent les détails auxquels je m’attache et j’espère avoir un peu progressé en apprenant à leurs côtes à me détacher un peu de certaines choses moins importantes. Les compositions vont en général assez vite, c’est la finalisation et fixation sur disque qui me prends plus de temps et des fois juste pour des détails. J’ai beaucoup de titres de côté qui ne sont jamais sortis…

Quand on se retourne sur votre discographie, autant Happiness et Evenfall semblent quelque part se compléter et se répondre, autant Heatwave annonce de nouvelles pistes avec un retour vers quelque chose de plus rythmique et votre premier instrument, la batterie. Comment percevez-vous ces trois premiers disques avec le recul que vous offre le temps ?

Sébastien Schuller : Ils correspondent tous les trois à des époques bien différentes. Il y a beaucoup de morceaux dont je suis fier et d’autres ou j’ai l’impression que j’aurais pu faire différemment.

Quel serait le son de votre enfance et quel serait celui directement lié à la musique, à ce petit quelque chose qui ressemble parfois chez certains musiciens à une forme de révélation ?

Sébastien Schuller : Supertramp dans l’enfance avec la voix de Roger Hodgson et des titres comme Hide in your shell, Soapbox Opera puis plus tard Depeche Mode et la New Wave qui représentaient tout ce qui me faisait fantasmer dans la musique anglaise et qui m’a sûrement donné gout à la musique électronique ou bien Talk Talk qui sonnait plus comme un ovni dans le paysage musical de l’époque. Quand j’entendais la voix de Mark Hollis en soirée, je me disais que cette musique n’était que pour moi.

Si je vous dis Kangaroo et Spaciba ?

Sébastien Schuller : Ce sont les deux groupes auxquels je participais avant mon premier EP. Le premier en tant que batteur et le deuxième ou l’on composait tous ensemble avec Agnès, Pierre et Kamel. Une première rencontre autour d’un concert de My Bloody Valentine et autour de la scène Shoegazing. Puis la perte de Pierre. Il y a de bonnes compositions qui ne sont jamais sortis.

Sur Heatwave, il y a ce titre un peu énigmatique, Memory – Les Halles. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Sébastien Schuller : Fan de Depeche Mode dans les années 80, pour moi les Halles étaient le cœur de Paris, là où la mode se passait où trouver des fringues punk, new wave, les disquaires. .. C’est aussi plus tard le souvenir de l’un de mes premiers jobs à la Fnac, j’avais 20 ans. J’étais fier de pouvoir y travailler venant de ma petite banlieue.

Vous dites souvent que c’est votre expérience de banlieusard dans les Yvelines qui a nourri votre mélancolie. En quoi l’expliquez-vous ?

Sébastien Schuller : Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer. J’ai grandi là-bas et j’ai eu des décès familiaux tôt dès mon enfance et donc des souvenirs forts attachés à ce lieu. Je me souviens aussi écouter de la musique à ma fenêtre ou au walkman en déambulant dans ma cite en rêvant d’ailleurs.
J’ai aussi l’impression que cette mélancolie vient peut-être de mes parents et de leur propre histoire…
L’observation des gens revenant de Paris sur les quais sortant des trains gris portant le fardeau de leurs journées, de leurs vies pour rentrer dans une banlieue un peu dortoir tout en sachant qu’ils devront recommencer le lendemain…
On a le temps de penser et de rêver en prenant ces trains… Je ne veux pas noircir le tableau j’ai de très beaux souvenirs mais il y a une certaine mélancolie qui s’en dégage.

Si vous pouviez échanger avec le Sébastien Schuller au moment de la sortie de votre premier EP, que lui diriez-vous et que vous répondrait-il ?

Sébastien Schuller : Je ne saurais pas quoi lui dire. C’est une question qui évoque un peu un bilan et j’espère avoir encore beaucoup à faire… Je ne voudrais surtout pas trop interférer avec ses envies et son innocence.

Parlons un peu de vos textes, vous m’expliquiez en aparté que vous aviez beaucoup de mal dans cette expression d’où peut-être la présence importante de l’instrumental pur dans vos disques. De quoi se nourrissent vos textes ?

Sébastien Schuller : Les textes sont toujours une continuité de la musique donc avec les mêmes inspirations. Ce n’est pas que j’ai tant de mal que ça, ça me demande parfois plus de temps mais j’y met la même dévotion et le choix d’un morceau instrumental est parfois lié au fait de trouver une mélodie que je trouve satisfaisante ou pas et la question ne se pose pas tout le temps, j’aime aussi les instrumentaux tout simplement.

Au moment de la sortie d’Introspection, votre quatrième album, vous avez directement annoncer que vous étiez au travail sur un nouveau disque. Savez-vous déjà à quoi il ressemblera et quelles sont les couleurs que vous voulez employer sur ce cinquième album ?

Sébastien Schuller : Oui tous les morceaux sont là. J’ai l’impression qu’il est plus profond que tout ce que j’ai pu faire auparavant tout en naviguant à travers mes différents gouts musicaux. Acoustique, électronique avec voix éthérées, musiques de films… J’ai hâte de pourvoir le partager.

Interview réalisée par Greg Bod

Introspection est disponible sur toutes les plateformes depuis le 09 avril 2023